Surprenante et originale cette idée de transposer à nos jours l’opéra -inspiré du mythe de don Juan – que Mozart composa fin 1787 sur un livret de Lorenzo da Ponte. On mesure en deux actes l’évolution phénoménale qu’imprimèrent à nos mœurs les deux siècles passés. La transposition est d’autant plus réjouissante que les masques (de Mickey !), les blouses grises (des soubrettes qui se substituent aux paysannes du livret original) et le décor rappellent à notre mémoire une certaine affaire d’agression sexuelle présumée dans un Sofitel new-yorkais.
Fait de verre et d’acier, le décor figure un imposant hall d’entrée d’hôtel aussi froid, blafard et impersonnel que l’énigmatique « guichet de nuit » né du pinceau d’Edgard Hopper. On est d’emblée séduit par l’audace, l’humour et l’ingéniosité du metteur en scène Michael Haneke, scénariste du film Amour, Palme d’or du festival de Cannes 2012. On doute pourtant qu’il se soit inspiré des événements outre-Atlantique puisqu’il signa déjà la mise en scène de ce « drame joyeux » à Garnier en 2006.
La musique de cet « opéra des opéras » fait le reste. Il n’y a pas de thème central dans le Don Giovanni de Mozart. Le compositeur imprime à sa musique une succession de ruptures et de répétitions qui ne sont ni tout à fait autres, ni tout à fait les mêmes. Ces fantaisies lyriques s’enchaînent et s’entrecroisent comme des broderies qui suivraient un canevas secret. De quoi envoûter le spectateur durant les quatre-vingts dix minutes que dure chacun des deux actes…
La distribution est éclectique. Les cordes vocales entonnent avec bonheur l’air de la mondialisation. Le duo Mozart/da Ponte réserve à chaque exécutant sa part de solo, donc ses minutes de gloire. Les duos ravissent tout autant et la superbe des échanges croît ici mathématiquement avec le nombre des exécutants. Honneur aux femmes quelque peu malmenées par le machisme du livret. Les grains de voix des trois divas sont complémentaires, pas de risque que l’ennui naisse de leur uniformité. La moldave Tatiana Lisnic fait une Donna Anna douloureuse ou effarouchée dont les plus hautes notes s’envolent au ciel de la voûte dessinée par Carlos Ott. La française Marie-Adeline Henry campe une Donna Elvira en Cosette des temps modernes. Le dos rond, les pieds en dedans, rasant les murs, elle est l’aptitude à la victimisation personnifiée. Le grain un brin anguleux de sa voix lui déchire le cœur – et le nôtre avec. L’italienne mezzo-soprano Serena Malfi joue Zeldina, camériste gironde mais pas plus que ça pudibonde. La tessiture de sa voix a le divin moelleux d’un panettone.
Les artistes masculins sont à la hauteur de leurs partenaires. L’Uruguayen Erwin Schrott maîtrise le rôle titre de séducteur assoiffé de volupté pour l’avoir exercé à Londres, Milan, Florence, Berlin, Washington et j’en passe… Il joue le répertoire des plus profonds replis de son larynx de basse avant de se faire expédier ad patres vers les flammes de l’enfer. Ottavio s’incarne en l’imposant ténor roumain Stefan Pop dont le coffre -qu’un ample imperméable peine à masquer- recèle des vocalises à n’en plus finir. Alexandre Duhamel, baryton français révélation aux Victoires de la Musique 2011, campe un Mazetto jaloux qui, avec sa fiancée Zeldina, exécute un duo coquin irrésistible dans le genre sado-maso. C’est encore un roumain, Adrian Sâmpetrean, qui joue le rôle de Laporello, valet de Don Giovanni. L’humour du domestique en matière de sous-titrage vocal des événements compense le léger différentiel de niveau d’avec son dépravé de patron. Et le décompte qu’il fait des conquêtes de son maître et chanteur est irrésistible. Enfin Liang Li emprunte à la Chine sa légendaire zénitude pour statufier au second acte un Commandeur dont la voix de basse tonne le châtiment. Le revenant a sur scène l’immobilité suspecte… sauf à considérer que l’artiste s’est formé à l’exercice en interprétant nombre de requiem (Mozart à New York, Verdi à Essen).
Dirigé tout en finesse et espièglerie par le jeune français Alain Altinoglu, l’orchestre de l’Opéra national de Paris soutient, appuie, accompagne, enrichit et complète les prestations musicales de chaque artiste. Une présence constante de l’ouverture au final qui justifie l’éclairage de la fosse durant tout le spectacle. Cette orchestration témoigne en creux du génie mozartien, signer un opéra complet sans l’apport d’instruments inutilisés à l’époque, le piano et la trompette à piston.
Guillemette de Fos
J’ai vraiment l’impression que l’on se croise de peu pour cette saison à l’Opéra. Effectivement le décor fait écho à Hopper, je ne sais pas si c’est volontaire de la part de Haneke, mais ce décor unique se retourne un peu contre les chanteurs. Je m’explique, Haneke a fait une mise en scène de cinéma, tout en demi-teinte côté éclairage et j’avoue avoir été gêné par la faiblesse de luminosité. L’autre critique que je ferai, porte sur la scène finale du Commandeur. Qu’est-ce que c’est que ce commandeur en brancard avec une tache de sang sur la poitrine ? Il parait que le circuit Gaumont qui propose avec succès une programmation d’Opéra avec son rituel à l’entre-acte qui avait prévu de donner l’actuelle mise en scène s’est jeudi dernier, rabattu sur celle de Salzburg, en 2014, joue comme plus tard à Paris sur le côté libertin du personnage et non sur l’homme qui défie les forces du ciel. Deux versions « modernes », celles de Salzbourg située dans un grand hôtel, mais qui conserve sa dignité à la fin. Pour le reste, mon Dieu les voix, mon Dieu le Don Giovanni ! Enfin quand je dis mon Dieu, c’est histoire de dire…
Des goûts et des couleurs cher Bruno… du moment qu’on se retrouve sur l’enchantement sonore !
J’ai trouvé la faiblesse de la luminosité plutôt propice aux relations furtives. Quant à la version du Commandeur, on baigne dans le sang de l’onirique…
Mercredi matin, j’ai lu l’article concernant le Don Giovanni, à Bercy…
Billet composté, voyage achevé, j’ investis avec satisfaction la place 47 au premier balcon, deuxième rang…Pour donner la touche finale, j’ enfile les chaussures de veyre de Cendrillon, vernis noirs aux talons vertigineux! L’ aspect esthétique est très élégant, mais vais-je pouvoir déambuler négligemment et machinalement sans vriller mes ligaments et oublier mon habitude de randonneuse au pas long et rapide!!!
Magie du spectacle pendant 3 h…