C’est un film dont beaucoup d’entre nous ne connaissent que le titre. Il a été peu diffusé à la télévision (la dernière fois en 2013 sur Arte lors de la disparition de Bernadette Lafont) et n’est jamais sorti en DVD en raison de problèmes avec les ayants droits. Sorti en 1973, « La Maman et la putain » de Jean Eustache avait été vu alors par 300 000 spectateurs. Il a reçu le Grand prix du festival de Cannes la même année. Il est considéré comme une œuvre cinématographique majeure de la Nouvelle vague. Il dure plus de trois heures trente… Lorsqu’une jeune metteure en scène, Julie Duclos, l’adapte pour le théâtre de La Colline cela donne : « Nos Serments ». Alors on y croit… et on y court.
Sur la scène il y a François (l’Alexandre de la « Maman »). Il y a aussi Mathilde, Esther et Oliwia… François vit avec et chez Esther. François ne travaille pas. Il a rompu violemment quelque temps auparavant avec Mathilde qui ne supportait pas son infidélité. Esther, au nom du serment qu’ils se sont fait de ne rien se cacher, accepte que François invite Oliwia chez elle ; et même que François la trompe avec Oliwia chez elle.
Ne nous égarons pas. Si nous voyons là une interprétation possible de l’amour libre des années post-1968, il n’est pas question ici de « jouir sans entraves ». François est toujours ce personnage phallocentré que décrivait Eustache et Julie Duclos nous dit bien vite que tout ça ne peut tenir longtemps comme ça. Car, que nous raconte cette pièce au fond ? Que ce trio amoureux sonne curieusement à notre époque, décrite par Julie Duclos comme « moins subversive que celle des années 1970 » ; et que les personnages s’en tireront mal. François surtout, qui se retrouvera seul.
Julie Duclos, par ailleurs comédienne, signe avec « Nos serments » sa troisième mise en scène (précédemment :« Fragments d’un discours amoureux » et « Masculin/Féminin »). Cette jeune femme, qui a suivi les cours du conservatoire national d’art dramatique de Paris, a beaucoup travaillé sur l’espace scénique et l’improvisation. Le film de Jean Eustache a résonné comme une antienne dans son apprentissage auprès de Philippe Garell, son professeur de cinéma au conservatoire. Il en avait fait le matériau de travail de ses élèves.
Julie Duclos devait-elle se défaire de cet héritage en créant « Nos serments » (dont le sous-titre précise : librement inspiré de la « Maman et la putain ») ? Qu’elle réalise une sorte de mise à distance ? Pire : un exutoire ? Passée la première scène en forme de prologue, qui nous décrit dans une violence aujourd’hui insupportable ce que peuvent être des rapports de couple lorsque la suspicion, la jalousie et la douleur s’en mêlent (et s’emmêlent), la suite tient vraiment bien. L’écriture est libre, la mise en scène convaincante, les trouvailles (comme l’ajout de scènes extérieures filmées), bienvenues. On ne s’ennuie (presque) jamais. La densité des rôles s’exprime surtout en deuxième partie, juste après l’entracte.
Pour donner à sa pièce le naturel du vécu, Julie Duclos a laissé libre court à l’improvisation de ses comédiens. Puis elle a travaillé les dialogues et la mise en scène avec un scénariste de télévision et de cinéma (Guy-Patrick Sainderichin). Quelques jours avant la première, les scènes évoluaient encore : reprises, modifiées ou supprimées par le scénariste. « Le théâtre est une matière vivante », justifie Julie Duclos qui est convaincue qu’« On peut faire théâtre de tout ».
Si le théâtre de Julie Duclos vit bel et bien, ses comédiens, hélas, sont inégaux. On remarquera la qualité des prestations d’Esther (Alix Riemer) et de Gilles (Yohan Lopez) pour oublier celle des autres. La compagnie l’In-quarto, qu’elle a formée en 2010, est composée de jeunes gens de sa promotion. Leur marge de progression est grande.
Valérie Maillard
« Nos Serments », mise en scène de Julie Duclos. Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris 20e. Jusqu’au 14 février.
merci pour votre article, Valérie. Il confirme le mien tout en allant pas forcément dans son sens !
Je ne vous l’infligerai pas -comme à chaque fois !- si vous voulez le lire, il est en ligne sur le site Froggy’s delight.
Moi, je trouve ça agaçant que nous n’ayons pas pu voir le même spectacle à quelques jours de distance. On n’imaginerait pas, au-delà d’un exercice de style conceptuel, une expo où le peintre viendrait chaque nuit se repentir en retouchant ses tableaux, ni un film remonté différemment tous les jours…
Autre agacement – qui a l’air de trouver grâce à vos yeux ? – c’est la vidéo : n’est-ce pas terriblement pénible d’avoir un long plan séquence en vidéo avec des comédiens qui étaient précédemment sur scène et qui pourraient le jouer « live » ?
Je trouve que c’est un non-sens et une erreur car, comme dans la majorité des nombreux spectacles où l’on utilise la vidéo, la scène filmée n’a aucun style. C’est ce que j’appelle de la « vidéo de caméra de surveillance » absolument pas propice à émotion…. Si nos deux acteurs pouvaient jouer ce dialogue devant nous « en vrai », je crois qu’il se passerait quelque chose de plus fort…
Une fois pour toutes, l’abus de la vidéo au théâtre nuit gravement au théâtre !
Franchement, j’aurais préféré revoir le film pour une énième fois que ce travail scolaire appliqué, qui ne dit rien sur notre époque avec des personnages qui n’y appartiennent pas, alors que la grande force du film d’Eustache était qu’il avait, outre la vérité artistique des grandes oeuvres, une crédibilité sociologique, même si elle ne concernait que deux ou trois rues germanopratines.