Qui êtes-vous Monsieur Ford ? L’homme qui donna ses lettres de noblesse au western ? Le baroudeur borgne qui n’aimait pas les films de cowboys mais dont il aimait en retrouver l’ambiance quand il tournait en extérieur ? L’humaniste qui filmait la crise de 1929 avec « Les Raisins de la colère » où le militariste qui se prépara à la guerre bien avant les Etats-Unis ne le fasse ? Le cinéaste qui suivit la guerre du Pacifique jusqu’à l’Allemagne, en passant par la Normandie ?
Qui êtes-vous Monsieur Ford ? L’homme des mythes qui ont construit l’Amérique ou celui qui fut amené à en faire une critique lucide et émouvante ?
La Cinémathèque française propose un retour sur l’œuvre de John Ford. Une vie de cinéma, 137 films, qui commença en 1917, pris le virage du parlant en 1928, pour s’achever en 1966. Un peu plus de quatre-vingt titres qui vont être présentés jusqu’au 23 février.
Le cinéma américain est né dans des baraques foraines, les Nickelodéons. On venait voir les films pour un nickel, une pièce de cinq cents, c’était vers 1910. Il fit la fortune des uns et permis au petit peuple des colons d’oublier la dure réalité d’un Ouest encore sauvage. Et justement, le western n’avaient rien pour les faire rêver alors que la triste réalité des chercheurs d’or, éleveurs ou ouvriers des chantiers du train, valait bien la fiction, que ce soit en 1870 ou en 1910 et même bien après. Rien d’étonnant alors que pour John Ford les westerns soient restés longtemps des films mineurs.
John Ford n’était pas loin de penser que les vrais films qu’il laisserait à la postérité, seraient plutôt « Le Mouchard », « Quelle était verte ma vallée » ou « Les Raisins de la colère », autant de films oscarisés. Cela ne l’empêcha pas en 1938 de réveiller le western avec « La Chevauchée fantastique ». John Ford donna au genre des décors inoubliables, celui de « Monument Valley » et ses cheminées qui sculptent le paysage. « J’aime faire des films disait-il, ils peuvent être bon ou mauvais, j’aime tourner. »
John Ford ne cherchait pas à produire de grands westerns, il y trouvait prétexte à partir loin d’Hollywood et de la pression de la production. Il aimait l’ambiance des techniciens en vadrouille. A l’époque, jusque dans les années cinquante, il n’y avait pas de route goudronnée dans le désert, pas évident pour trimballer une équipe de tournage. Une époque sans touriste, où le mythe restait à construire. Quant au suivi du montage du film qu’il tournait à 400 kilomètres de Los Angeles, John Ford filmait au minimum, une prise lui suffisait, ce qui devait limiter la créativité des monteurs… et rassurer les cinéphiles ! La scène de « L’Homme tranquille » où John Wayne tire par ses magnifiques cheveux roux Maureen O’Hara ne fut tournée qu’en une prise (mais deux jours de répétition !).
John Ford avait la réputation d’être difficile avec les acteurs c’est pourquoi il aimait tourner avec ses fidèles. Il fit de John Wayne, James Stewart, Henri Fonda où Maureen 0’Hara ses acteurs emblématiques. En revanche il a laissé de bons souvenirs aux Indiens Navajo. Même s’ils devaient se déguiser en Comanches. Ford était un homme respectueux des croyances spirituelles amérindiennes, peut-être était-il aussi superstitieux, pour engager les services d’un « medecine man » chargé de réaliser des rituels contre la pluie ou la canicule. En 1956, John Ford signa un de ses plus beaux films, « la Prisonnière du désert ». Un chef d’œuvre qui rompt avec les westerns manichéens.
Dans le John Ford de Peter Bogdanovich, Ford déclarait : « C’est un peuple très digne – même lorsqu’il a été battu. Naturellement, ce n’est pas très populaire aux États-Unis. Le public aime voir les Indiens être tués. Il ne les considère pas comme des êtres humains, possédant une culture profonde, différente de la nôtre. Si vous regardez les choses en détail, vous découvrez pourtant que leur religion ressemble en beaucoup de points à la nôtre. » « La prisonnière du désert » date de1956. Ce n’est pas un hasard si aussi, en novembre 56, la cour suprême des Etats-Unis déclarait inconstitutionnelle, l’interdiction faite aux noirs de fréquenter ou de s’assoir dans certains lieux réservés aux blancs.
Ford a tourné neuf films à « Monument Valley ». Son sens du décor, le conduit à y construire une ferme dans le désert pour la « Prisonnière » ce qui était juste impossible.
Bertrand Tavernier explique à l’occasion de la rétrospective (voir lien avec France Inter), si on compare le cinéma de Ford avec celui d’un autre « borgne » célèbre d’Hollywood Howard Hawks, ce dernier dans ses western (Rio Bravo, la Rivière rouge) filmait des héros solitaires, alors que dans Ford l’homme était toujours en sa collectivité. Ce qui est relativement nouveau dans une Amérique individualiste. Il n’est pas rare d’y croiser une école aussi. Ce n’est pas un hasard si son dernier film, « La Frontière chinoise » met en scène sept femmes en Chine dans un dispensaire au cœur des combats entre seigneurs de la guerre. John Ford est le cinéaste de la réconciliation. « Le soleil brille pour tout le monde » fut son film préféré. Un petit film sur le racisme en Louisiane.
« Nous sommes dans l’Ouest et quand la légende est plus belle que l’histoire on publie la légende » , ainsi s’achève « L’homme qui tua Liberty Wallance. » Mon film préféré avec La Prisonnière du désert.
Bruno Sillard
Liens:
Bertrand Tavernier raconte John Ford dans l’Humeur vagabonde de Kathleen Evin sur France Inter
La Cinémathèque française
Rétrospective John Ford. Présentation par Jean-François Rauger
André S. Labarthe, souvenirs de John Ford
Lire dans les Soirées de Paris
La winchester qui n’en était pas une
Héros solitaire chez HH ?
Hum Hum… C’est plutôt le contraire… Dans Rio Bravo, on finit par avoir plus d’assistants du shérif que de méchants…
Dans « Rio Bravo », le shérif s’appelle Chance… Et il rencontre une joueuse qui n’en a pas beaucoup…
Et la solitude des hommes dans les westerns de Hawks, c’est une figure de style parce qu’il ne peut pas tourner son » secret de Brokeback Mountain »…
Regardez le « couple » Wayne-Clift dans « Red River » et vous verrez que c’est clair…
Pour Ford, je vous recommande le merveilleux livre de Harry Carey Jr, ses mémoires, intitulé, je crois, en français » La compagnie des Héros ».
Son père était le grand Harry Carey, ami de Ford et celui-ci, naturellement, considérait Harry Carey Jr comme son fils. Il est magnifique dans « Fort apache »… et son livre raconte mille anecdotes sur Ford et Wayne…
Moi, mes films préférés sont la « trilogie » que Ford tourna dans les années trente avec Will Rogers (avant qu’il meure en avion, lors d’une tentative de tour du monde avec un as de l’aviation américain !) : Judge Priest, Docteur Bull et Steamboat round the Bend..
Je les recommande fortement. Si Will Rogers n’était pas mort en 1935, je crois que la carrière de Ford aurait été tout autre…
Si vous êtes à Paris demain, mon ami Thomas Bardinet, après avoir eu l’honneur (qu’il mérite vraiment) d’une séance de la Cinémathèque rassemblant ses principaux courts métrages, présentera un film de Ford qu’on aurait tort de croire mineur : « La Taverne de l’Irlandais »… Thomas adore ce film, il a raison !
Mouais, dans Rio Bravo John Wayne est pas mal solitaire entouré de bras cassés à commencer par Dean Martin qui joue un adjoint substantiellement alcoolisé. Cela dit merci pour la réponse et remerci pour le conseil de lecture.
Je ne pourrais pas aller à la cinémathèque demain, à mon grand regret, mais physiquement et à jeun je suis plus proche de Dean Martin dans Rio Bravo, plus sérieusement Ford a tourné un remake du « Judge Priest » en 1953. La première version de 1934, ayant été coupée par les producteurs Ford tourna donc « Le Soleil brille pour tout le monde ». C’est cette dernière version que Ford préfère. En tout cas c’est ce qu’il semble dire dans l’entretien délirant qu’il donne à André S. Labarthe et dont vous avez le lien… Et ce malgré ce qu’il pense en général des remake pour ses films.
J’oubliais Ford n’a pas fait un film sur l’as de l’aviation?
« The Wings of Eagles » – « l’aigle vole au soleil » – 1957 – avec John Wayne.
M’ci M’dam’
As de l’aviation : celui qui a péri avec Will Rogers, c’est Wiley Post, celui qui inspira « L’aigle vole au Soleil », Frank Wead…
Le commandant Frank Wead a fait beaucoup de scénarios sur l’aviation… Notamment pour… Ford (Air Mail, They were expendable – deux autres beaux films)… et pour Hawks, lui même aviateur… je vous recommande le film de Hawks, « Ceiling Zero » avec James Cagney… Un de mes Hawks préférés.
Quant aux déclarations de Ford, notamment aux journalistes français qui se la pètent comme Labarthe, elles sont sujettes à caution. N’oubliez jamais que Ford ne voyaient jamais ses films montés ! Et qu’il a tourné tellement de films que son préféré changeait en fonction des souvenirs qui lui revenaient pendant les interviews qu’il pouvait donner aussi fortement alcoolisé…
Si « Le soleil brille pour tout le monde » est un beau film, Charles Winninger n’est pas Will Rogers !
Je crois que « Judge Priest » est mis très haut par des « grands » fordiens comme Louis Skorecki et Jean-Marie Straub… et par le petit vermisseau que je suis…
Marguerite Duras, elle, préférait « Les Deux Cavaliers », autre Ford bavard, épuré, brut…
Passionnant, j’aurais envie de vous faire causer cinoche des heures durant!
Un dernier petit mot, dans la famille aéropostale j’ai un faible pour « Seuls les anges ont des ailes » d’Howard Hawks avec Cary Grant…
Cher Bruno,
je suis sur le départ (pour voir un film bien sûr!), mais vous avez parfaitement raison pour « Only Anges…. »… Et il n’y a pas que Cary Grant… Rita, Jean Arthur, Thomas Mitchell…
Si on voulait dire des bêtises on pourrait lancer un débat sur Hawks et Ford, genre combat de boxe… Savoir qui est le plus grand… Pour moi, c’est très bête et inutile : j’aime qu’il y ait plusieurs « plus grand » !
Mon Dieu ! Il faudrait trois vies pour tout voir… et pour tout revoir après!
Passionnant : merci Messieurs
En temps que ligérienne j’apprécie vos infos parisiennes qui m’incitent à monter à la Capitale avant fin février… À bientôt Bruno !