Deux hommes, une femme et quelques verres d’alcool. Dans Trahisons, Harold Pinter renoue avec les bonnes vieilles ficelles théâtrales. Robert et Emma sont mariés, Emma a eu une liaison pendant sept ans avec le meilleur ami de son mari, Jerry. Mais le coup de génie chez Pinter est de commencer par la fin : fin d’une liaison en même temps que celle d’un mariage.
La scène s’ouvre ainsi avec Emma et Jerry prenant la mesure du temps passé. Et l’on remonte, année après année, le fil décousu de ces histoires d’amour et d’amitié. Cette traversée mémorielle est passionnante autant qu’inquiétante. Elle transforme le spectateur en enquêteur-autopsiste, chargé de retrouver les indices d’une déflagration certaine depuis la première scène.
Plus la pièce avance, plus les personnages enfilent les verres : alcools forts, verres de blanc et digestifs, histoire de parler un peu plus librement ou au contraire d’esquiver ce qui fâche. La mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia et le jeu des comédiens le soulignent à l’envi : chez Pinter, on boit pour se souvenir. Sur scène, de grands panneaux noirs coulissants avancent et accompagnent les déplacements des personnages. Belle trouvaille du metteur en scène et de son décorateur (Jacques Gabel) : dire le temps c’est faire bouger l’espace. Les lumières soulignent également l’anamnèse (récit des antécédents ndlr). De grands rayons tombent sur des personnages un peu en chute libre eux aussi.
Le quatuor de buveurs… pardon de comédiens est formidable. Une certaine ivresse fait tanguer légèrement les personnages qui ne perdent pourtant jamais de leur lucidité cruelle. À ce jeu d’équilibriste, Denis Podalydès excelle. Tantôt caustique, émouvant, inquiétant, il dessine ruptures et variations avec talent. Apparemment désinvolte, il laisse entendre l’instant d’après, des éclats de violence contenue. Cette violence qui semble toujours guetter sous la table des festivités. On pense à cette incroyable scène d’aveu entre le mari et la femme (Léonie Simaga formidable, entre la retenue et la grâce enfantine). On pense encore à la scène de « squash » entre le mari et son meilleur ami qui tourne à l’affrontement de duelliste ou de cowboy.
Seul bémol cependant, les silences. Pour suggérer le non-dit, se faire écrin pour la parole à venir, dramatiser la scène… certes. Pourtant ce soir là, ils n’étaient pas toujours « habités » ces silences et l’on se surprend plusieurs fois à se demander si le souffleur manque à l’appel. Certaines scènes entre les amants, dans le studio amoureux, nous laissent ainsi une impression de lenteur engluante. Mais rien cependant qui ne gâchera notre plaisir final. Et si l’on sort le gosier un peu sec de la représentation, un verre au bar du Vieux-Colombier nous requinquera bien vite. Un verre de blanc que l’on fera longtemps tourner dans la main nous aussi. Vous reprendrez bien un peu de Trahisons?
Trahisons, Théâtre du Vieux-Colombier, jusqu’au 26 octobre
A signaler que David Jones fit de cette pièce un très beau film en 1983 intitulé « Trahisons conjugales », sur un scénario de Pinter lui-même. Avec Jeremy Irons, Ben Kingley et Patricia Hodge. Dans mon souvenir, l’alcool n’y jouait pas un rôle prépondérant.
Il y a des pièces de théâtre dont on se souvient. Trahisons fait parti de ces pièces. Je l’ai vu pourtant en 82 cela devait être la première mise en scène avec André Dussollier, Sami Frey et Caroline Cellier. Une mise à nu du mécanisme du triangle Mari, femme et amant sauf que Pinter nous le fait à l’envers et ça devient un thriller…