En découvrant le village de Saint-Cirq Lapopie, l’écrivain André Breton a décrété que dès lors il cesserait de « se désirer ailleurs ». Soit un bel et rare exercice de surréalisme autocentré pour celui qui détenait les clés du genre. Mais c’est surtout pour sa collection de fétiches et autres objets, disparates tout autant que précieux, que le musée Henri Martin de Cahors a élaboré une exposition qui a ouvert ses portes la semaine dernière.
« Le cœur du réacteur » ainsi que l’a dénommé lors d’une visite préalable Laurent Guillaut conservateur de cette exposition, se trouve au centre d’un bloc de verre. C’est le bureau de l’écrivain sur lequel est disposée une foule d’objets, comme autant d’indices permettant de décrypter en partie l’écrivain et visionnaire. Cette salle fixe le sens général d’une scénographie intelligente qui va bien au-delà d’un simple agencement thématique. En plus de très nombreux documents souvent captivants, trois cents œuvres jalonnent le parcours avec des auteurs comme Picabia, Desnos, Miro, Picasso, Munch, Frida Kahlo… Mais il y aussi et surtout profusion de poupées Hopi dont Breton était collectionneur et qui fascineront à coup sûr le visiteur. Elles proviennent d’un voyage que fit l’écrivain en Arizona avec sa femme en 1945.
La mise en scène de la « route mondiale » numéro un est d’évidence l’autre point fort de cet événement. En 1948, un ancien pilote de guerre américain, Gary Davis, rend son passeport au consulat et se déclare citoyen mondial. Son mouvement est suivi par des personnalités comme Albert Camus, Jean-Paul Sartre, André Gide et André Breton. L’une des matérialisations de cette affaire a été de créer la route mondiale numéro un.
En juin 1950, André Breton est sur place pour inaugurer la route sans frontière numéro un qui relie Cahors à Saint-Cirq Lapopie où il finira par acheter une maison. D’où cette fameuse déclaration qu’il fera près d’un an plus tard : « C’est au terme de la promenade en voiture qui consacrait,en juin 1950, l’ouverture de la première route mondiale – seule route de l’espoir – que Saint-Cirq embrasée aux feux de Bengale m’est apparue – comme une rose impossible dans la nuit. […] Par-delà d’autres sites d’Amérique, d’Europe, Saint-Cirq a disposé sur moi du seul enchantement : celui qui fixe à tout jamais. J’ai cessé de me désirer ailleurs. […] Chaque jour, au réveil, il me semble ouvrir la fenêtre sur les Très Riches Heures, non seulement de l’Art, mais de la Nature et de la Vie. »
Pour ceux qui viendront au musée de Cahors, le déplacement à Saint-Cirq (que l’on prononce Saint-Cirque) est indispensable ne serait-ce que pour méditer sur la beauté des lieux et incidemment au pied de la maison qu’il habita. Le musée Henri Martin de Cahors a fait appel à la photographe Nadia Benchallal afin qu’elle travaille sur le parcours séparant les deux localités. Il en résulte de très belles et originales photos argentiques en noir et blanc qui superposent adroitement les sujets. Plusieurs fois primée, Nadia Benchallall a également utilisé une application spécifique sur son Iphone pour obtenir toute une série de photos carrées sur le même sujet et qui frappent par la réussite de leurs contrastes.
Selon Breton, la pensée poétique, « pour rester ce qu’elle doit être, conductrice d’électricité mentale » doit avant tout se charger en « milieu isolé » écrivait-il dans Arcane 17, l’un de ses livres. Nul doute que Saint-Cirq Lapopie, du moins dans les années cinquante, pouvait répondre à ce cahier des charges. A ce titre il aurait également pu choisir l’île de Sein où il fit plusieurs séjours qui laissèrent une empreinte sur un fameux jeu de l’oie également exposé.
Jusqu’au 29 décembre au Musée Henri Martin
PS1: L’autre commissaire de l’exposition est Constance Krebs également « conservateur » du site André Breton lequel devrait se transformer en musée en ligne d’ici la fin de l’année.
PS2: Au passage, le visiteur trouvera avantage à séjourner à Cahors pour ses vins, sa gastronomie, son pont Valentré, ses rues moyenâgeuses et son musée Henri Martin comme point de départ ou point d’arrivée.
Heureux celui qui ne se désire pas ailleurs…
Merci pour ce libre voyage, passionnant jusqu’au bout, jusqu’au bout du monde …
En plus à Cahors, on peut déguster des vins fameux et très vieux…
Je suis allé à Saint-Cirq Lapopie. Les gens de l’endroit prononçaient : Saint-Cyr, à l’opposé de Moncuq, prononcé Moncuque – pour des raisons évidentes.
Les vins de Cahors sont délicieux, foncés, corsés. Breton s’en humectait-il ? J’en doute.
Voilà bien le problème : grâce ou à cause de l’écriture qu’on a plaisir à suivre, grâce à Cahors et au cahors que j’affectionne, j’en viendrais presque à me réconcilier avec Breton, du moins avec ce que je considère être de sa part une usurpation intégriste du mot d’Apollinaire : surréalisme. Pour son créateur, « l’adjectif surréaliste (…) définit assez bien une tendance de l’art qui (…) n’a du moins jamais servi à formuler aucun credo, aucune affirmation artistique et littéraire. » – Prologue des Mamelles.
Il y a celui qui voulait nous donner « Mille phantasmes impondérables » et nous parlait de « la bonté contrée énorme où tout se tait », et celui qui, profitant de l’exacerbation politico-artistique d’un monde en mutation, gesticulait de psychotrucs en prêt-à-provoquer (faut dire que le bourgeois d’époque était encore impressionnable) osant nommer cela surréalisme… comme s’il n’avait pas eu assez d’esprit pour inventer de lui-même un nom à son niveau.
Cela dit, mon arrière grand-mère était de Puy-lʼÉvêque ; j’aime Cahors et le cahors, Saint-Cirq que j’ai visité jadis, Moncuq et bien d’autres lieux qui nous disent que le désir d’ailleurs est vain pour celui qui vit « aux frontières / De l’illimité et de l’avenir ».
BMF
Merci pour ces précieux commentaires. PHB