Il y a toujours eu des gens pour prendre cette liberté et donc se payer ce luxe inouï de créer une revue littéraire. C’est ce qu’ont fait en 1919 Louis Aragon, Philippe Soupault et André Breton avec la revue « Littérature ». Parce que Breton dirige seule la petite embarcation baptisée « Littérature » à partir de 1922 et qu’il fait appel à Francis Picabia, Man Ray ou Marcel Duchamp pour l’illustrer, l’affaire fait l’objet d’une bien intéressante exposition au centre Pompidou jusqu’au 8 septembre.
Jusqu’à son numéro quatre, la revue « Littérature » était textuellement granitique, un monolithe de mots. Sans doute conscient des dangers d’une telle austérité, son rédacteur en chef André Breton, ne sollicitera pas le talent de Francis Picabia en vain. Jouisseur, ami d’Apollinaire, pilote automobile et ne détestant rien tant que tout type d’enfermement notamment dans l’art, Picabia apporte à Littérature par ses propositions graphiques, une élégance, une impertinence et une originalité indéniables.
C’est parce que les originaux de ses propositions de couvertures ont été retrouvés, que l’idée de cette exposition a été déclenchée. Le talent iconoclaste de Francis Picabia réussit aux revues -certes éphémères- dans lesquelles il est intervenu comme 291, 391 et enfin Littérature. Avec ses propositions audacieuses, osées parfois, Picabia sait arrêter l’œil du lecteur, talent qui constitue l’un des ressorts fondamentaux à l’origine d’un succès de presse. Les participations photographiques de Man Ray, les interventions de Marcel Duchamp (1), de Max Ernst et aussi de Robert Desnos concourent à donner une vie à cette revue qui s’inscrit à la fin du mouvement Dada et au début du surréalisme.
Quelle concentration d’iconographes pour ces pages qui ne devaient contenir au départ que des poèmes et de la prose ! Certaines images ne seront pas là seulement pour illustrer mais comme œuvres en tant que telles et c’est Littératures qui publiera pour la première fois célèbre Violon d’Ingres (1924) de Man Ray à partir du dos de Kiki de Montparnasse et en référence au Bain Turc de Ingres, le maître de Montauban.
Cette exposition pourrait être confidentielle, il se trouve qu’elle rencontre un succès mérité à en juger du moins par sa fréquentation un certain mardi 22 juillet. Gageons qu’elle ne s’est pas émoussée depuis. Pour les amateurs d’Apollinaire, nombreux parmi les lecteurs des Soirées de Paris, il est à noter que le poète participa à titre posthume au numéro 13 (Epithalame, L’ignorance) et que l’on pourra en outre s’intéresser à un portrait de lui fait par Picabia, moins drôle que sa version mécanomorphe mais pas moins intéressante.
(1) Marcel Duchamp sera l’objet d’une exposition probablement passionnante à Pompidou à partir du 24 septembre.