Que l’on selle mon cheval

Détail de couverture d'un vieil Invanhoé. Photo: LSDPSuite à un mouvement d’humeur personnel, il avait décidé d’effectuer à cheval les 30 kilomètres séparant Maisons-Laffitte du château de Vincennes, en passant par le centre de Paris. Et surtout il voulait assouvir enfin un vieux fantasme qu’il couvait depuis de cinquante ans, celui de circuler destrier compris, en tenue d’apparat, celle réservée aux tournois et aux départs pour les croisades.

La loi interdit de se déplacer déguisé hors des périodes autorisées mais Bertrand (comme Du Guesclin l’un de ses héros) ne voyait pas en revanche, en quoi il pourrait être obligatoire de porter les habits de son siècle. Pour le trajet rien à craindre, la circulation à cheval est autorisée sauf sur les voies rapides. Le port du casque ou de la bombe n’est pas requis. De toute façon il porterait un heaume.

Bertrand avait fait les choses en grand sous le regard tout à la fois incrédule de sa femme et de ses (deux) grands enfants lesquels avaient été chargés d’aller le récupérer au pied du château de Vincennes avec la Toyota attelée. Oui, les choses en grand, car tout était dans la tenue dont l’ensemble, faisait toutefois un peu fantaisiste. Il attendait d’éventuelles remarques avec curiosité, bienveillance et sérénité.

A part son heaume, il avait revêtu une cotte de maille légère qui faisait de lui un homme métallique des pieds à la tête avec le heaume et les chausses. Mais le mieux c’était ce tissu jaune or qui le recouvrait, avec ses fleurs de lys bleues géométriquement disséminées et entourées d’un liséré rouge du meilleur effet. La robe du cheval par contre était assortie au bouclier, noire avec des croix jaunes. Il avait finalement laissé de côté la lance avec un drapeau sur la pointe en pensant qu’elle serait fatigante à porter et qu’elle le gênerait, en l’obligeant à ne tenir les rênes que d’une main. Une belle épée façon Durandal lui pendait à la ceinture, magnifique copie réalisée par un forgeron maniaque et à vrai dire un peu timbré, qu’il avait  trouvé du côté d’Achères.

Couverture d'un vieux roman d'Ivanhoé. Editions Jules Tallandier. Photo: LSDP

Couverture d’un vieux roman d’Ivanhoé. Editions Jules Tallandier. Photo: LSDP

Voilà qu’il était prêt comme ses héros. Bertrand prétendait sans rire, mais là il était le seul, que les gouvernements qui se succédaient manquaient de Du Guesclin, Bayard, Lancelot, Ivanhoé et autres Galaad pour redresser un tant soit peu fermement le pays avec tout le panache voulu. Et qu’avec une épée on pouvait trancher beaucoup de problèmes en deux du type opérateur télécom ou agent des impôts. Ses enfants le traitaient gentiment de réactionnaire irrécupérable mais il prenait pour ça pour un compliment. Ce qui les confortait dans leur jugement.

Il avait décidé de faire le parcours le 15 août au petit matin pour être tranquille obligeant sa famille à revenir de Bretagne le temps du défi qu’il s’était fixé. Il avait réprouvé, en mimant avec beaucoup de sincérité un haut le cœur, la suggestion de son neveu de fixer une caméra portative sur son heaume, de façon à immortaliser l’exploit sur les réseaux sociaux, univers qu’il considérait plus bas que la peste bubonique.

A six heures du matin, un 15 août donc (date du décès de Roland à Roncevaux équipé de sa Durandal, en 778) on ne croise pas grand monde en banlieue pour s’étonner. Il en avait profité pour galoper, dès lors qu’il voyait des allées praticables, sachant que le galop n’est en principe pas autorisé en ville.

Interloqués furent les touristes matinaux que le croisé croisa mais pas au point d’en oublier de déclencher leurs appareils photos et assimilés. Bertrand leur faisait plaisir et se faisait plaisir en allant de temps à autre à l’amble ce qui était une des allures naturelles de son cheval irlandais. C’est ainsi qu’il se permit de traverser le jardin des Tuileries dont les grilles venaient juste d’ouvrir quand il s’y présenta. Sa traversée ne manqua pas de panache.

Médusés furent les policiers (qu’il appelait les sergents de ville) lorsqu’ils l’aperçurent se dirigeant vers la Seine à proximité de Saint Germain l’Auxerrois. Pour eux il se tint immobile, à bonne distance cependant, faisant piaffer son cheval (du surplace) dans une posture de défi qui avait moult fois montré son efficacité face aux Sarrasins. Comme les touristes, ils prirent quelques photos avec l’idée qu’il était bien agréable de se détendre, quand par extraordinaire, une brèche dans l’écran de cinéma, exfiltrait l’un de ses héros.

Bertrand s’était permis d’emprunter un peu les quais de la Seine réservés aux piétons. Ils étaient déserts à cette heure ce qui lui permit d’avancer tout à sa promenade sans souci particulier de provocation. D’autant que, comme tout pêcheur qui se respecte, ceux qui mouillaient le bouchon ce matin-là, ne prirent pas la peine de se retourner. Le vrai pêcheur, creusois ou parisien, est ainsi. Passeraient derrière eux une division de chars Leclerc suivis par les filles du Lido en justaucorps rouge juchées sur des vélos de cirque, ils ne se dérangeraient jamais. Le pêcheur tourne le dos, au propre comme au figuré à la civilisation, il laisse son regard et ses pensées errer à la surface de l’eau.

Quant au vrai chevalier il est toujours chez lui à Paris. Ainsi pensait Bertrand au terme de son périple. Sa mauvaise humeur et son dédain forfaitaire pour toutes les choses modernes s’étaient dissipés. Il avait un peu chaud sous sa cotte mais c’était le signe, justement, que son esprit peccant avait purgé sa peine. D’ailleurs le soleil perçait sur le fort de Vincennes et il fut soulagé d’y retrouver sa petite famille qui l’attendait au retour de cette croisade urbaine qui aurait pu passer pour une foucade s’il n’y avait mis autant d’application et de foi.

Sur la route du retour, tout en passant un chiffon sur son heaume quelque peu souillé par la poussière blanche des Tuileries, il demanda à Hélène ce qu’elle avait prévu pour le déjeuner. « Tu vas être content, je vais te préparer un poulet au four avec de la purée »  et elle détourna un instant son visage de la route pour lui sourire. Peu comme elle en avait des comme lui.

PS: S’il vous prend des envies d’équipement (heaume, épée), voilà un site repéré au hasard.

 

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Une réponse à Que l’on selle mon cheval

  1. Bruno Sillard dit :

    Faut quand même surveiller le bonhomme des fois qu’il lui prendrait l’envie de bouffer du Sarrasin, il parait qu’on en trouve du côté de la gare Montparnasse.

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