Ma Toscane vue d’en haut

La coupole du Duomo à Florence. Photo: Guillemette de FosDe la devise prêtée à Pierre de Coubertin j’ai fait ma devise. Mais en la limitant raisonnablement à la dimension altitude. J’aime escalader les roches, gravir les pentes et monter les escaliers…  Et  de préférence toujours plus haut. C’est ainsi que je raconte mon récent séjour en Toscane. Trois villes vues d’en haut. 

 

Lucca, ascension de la Tour de l’heure, 207 marches. C’est le plus haut et le plus vieux beffroi  (XIIIème siècle) de la ville. Par chance, l’administration communale vient d’ouvrir au visiteur son vieil escalier en bois aux marches inégales. Lors de la grimpette, la cage d’escalier offre une vue plongeante sur le mécanisme à charge manuelle de l’horloge à cadran qui date du milieu du XVIIIème siècle. C’est l’œuvre conjointe d’horlogers genevois et lucquois, l’un des derniers exemplaires en fonctionnement en Europe.  L’horloge indique l’heure grâce aux sons de cloche, la plus grande cloche donnant l’heure,  les deux plus petites marquant les quarts d’heure. Je suis en contemplation devant cet amas de roues, de fils, de poulies… Une boîte à musique magique et mystique qui me communique l’émoi romantique du temps révolu…

Vue en profondeur de l'horloge de Lucca et son mécanisme. Photo: Guillemette de Fos

Vue en profondeur de l’horloge de Lucca et son mécanisme. Photo: Guillemette de Fos

Mais pas le temps d’attendre que vienne la nuit ou que sonne l’heure. Le doigt menaçant de l’horloge commande d’accélérer le pas sans perdre une seule seconde. Résultat, j’arrive en haut un peu essoufflée mais ravie. La vue à 360° sur les toits, tours et collines environnantes est superbe d’harmonie et de sérénité. Un camaïeu d’ocre rose sur fond de ciel nuageux qui adoucit les contrastes et repose les yeux. En face, une drôle de tour arborée de la cime me fait un petit coucou. Elle sait que j’aime la verdure autant que les vieux  cailloux… Qui donc a eu l’idée de cette forêt perchée, l’homme ou le vent ? Je résoudrai  un peu plus tard l’énigme de cette Torre Guinigi. Les maîtres de la ville, au patronyme éponyme,  décidèrent d’agrémenter  leur sévère maison-tour en lui adjoignant un jardin suspendu. Une couronne de lauriers qui  symbolisa  leur domination à la Renaissance…

Lucca vit aujourd’hui loin de leurs fastes impérieux, nichée sous ses hauts mais larges remparts.  Dans ses ruelles étroites et animées, les mammas promènent leurs bambini tout en faisant leurs courses. Sur la gracieuse place ovale de l’Amphithéâtre,  les bars servent a giorno des bruchettas apéritives ou digestives.

Vue du ciel de Lucca. Photo: Guillemette de Fos

Vue de Lucca. Photo: Guillemette de Fos

Derrière la Porta di Borgo et son  arc étroit habité, les jeunes gens s’attroupent, qui discutent autour d’un premier (ou dernier) verre.  Les sportifs font leur jogging matinal sur les douze kilomètres qu’offre le chemin de ronde boisé. Le dimanche,  les cyclistes s’en donnent à cœur joie à contourner les rues au pied des fortifications sous les nez rugissants des capots domptés par quelques carabinieri.  Lucca, une ville éveillée dans un bijou de décor médiéval au charme pas  seulement touristique.  

 

Florence,  ascension de la coupole du Dôme, 463 marches. Je passe du profane au sacré et décide de m’attaquer  à la coupole aux tuiles rouges du Duomo, l’imposante cathédrale Renaissance de la capitale toscane. Je dois m’armer de patience : 70 minutes de  queue au milieu d’un tourisme éclectique  post-figurant la Tour de Babel. La montée en colimaçon est rude, d’autant que l’escalier sert concomitamment à la descente. Claustrophobes s’abstenir et gare au croisement des sacs à dos ! S’abstenir aussi de penser que la célèbre coupole de Brunelleschi  est construite sans cintre ni charpente…

Aux trois quarts du parcours ascensionnel, un palier de décompression  est bienvenu, d’où l’on peut admirer – à les toucher !- les  fresques murales de la maison de Dieu. Est-ce l’altitude, le manque d’oxygène ? Sous mes yeux dessillés se déroulent des scènes dénudées d’une incroyable licence pour le lieu avec positions dignes du Kama Soutra. Ici la chair est faible autant qu’acrobatique. 

Florence vue d'en haut. Photo: Guillemette de Fos

Florence vue d’en haut. Photo: Guillemette de Fos

Puis c’est l’arrivée au but, la sortie en  plein air et au grand vent, la vue à 360°. La tête me tourne, je dois me raccrocher à du matériel, du tangible, du concret. Un piquet fait l’affaire. Heureusement que le vertige n’existe pas, que je n’ai que rencontré que la peur du vide à laquelle on s’habitue. Le spectacle est grandiose. La coupole de tuiles rouges de la cathédrale domine son campanile, pourtant bien dressé, dont les murs sont, comme elle, faits de marbre rose, vert et blanc.  Je vois au loin se dessiner la façade bicolore de l’église Santa Maria de Novella qui précède son cloître vert. J’aperçois là bas le Palais Pitti, riche caserne Renaissance des Médicis derrière laquelle descend en pente rude (j’adore !) un jardin dont le bassin de Neptune n’atteint pas l’orteil de son homologue de Versailles.

Pffuuiitt ! Je distingue l’Arno, verte Seine florentine, que chevauche le Ponte Vecchio dont les couleurs changent avec le temps. Son tablier supporte des échoppes de bijoutiers, comme jadis notre pont Marie se couvrait de maisons. Le pont parisien s’appelait en fait « pont des trois Marie » en l’honneur de son constructeur (Christophe Marie), de la Vierge et… de Marie de Médicis qui en supervisa la construction. On doit décidément beaucoup aux Médicis de ces deux côtés des Alpes ! Je fais d’en haut le tour de propriétaire de Florence, flottant comme un ange au dessus d’une ville faite d’harmonie de matières, d’assortiment de couleurs et d’audaces architecturales. Et comme un ange je n’ai nulle envie de redescendre retrouver mes semblables qui s’agitent en bas  comme des fourmis.

 

Sienne, ascension de la Torre del  Mangia, 500 marches. Question montée au ciel, Sienne est mieux organisée que Florence, elle pratique la réservation des billets et la distillation des places. Pas plus de 30 visiteurs à la fois dans cette tour gothique du XIVè siècle faite de briques rouges coiffées de travertin blanc. On y accède par un escalier de pierre, sacs à dos au vestiaire. Les précédentes ascensions m’ont donné des  ailes et pour ce qui est médaille et auréole  je peux compter sur la Maestà  exposée au Palazzo Pubblico. Cette gigantesque toile (970 x 763 centimètres) attribuée à Simone Martini  (1315) figure la Vierge en majesté, trônant sous un dais entourée d’une trentaine de saints, d’anges et d’apôtres auréolés.

La place de Sienne vue d'en haut. Photo: G. de Fos

La place de Sienne vue d’en haut. Photo: G. de Fos

Qui parvient en  haut des 102 mètres que compte la tour appréhende l’incroyable urbanisme circulaire de la ville, sa carnation uniforme mêlée d’ocre et de brun rougeâtre. Un coloris si typique que Sienne a donné son nom au pigment minéral le plus utilisé des peintres, la terre de Sienne naturelle ou  sa version brûlée. Au  loin se dessine la cathédrale gothique faite de marbre bicolore.

Sienne a  abandonné  le rose à sa rivale de Florence.  En contrebas, la vue est saisissante sur la Place del Campo  faite de bandes pavées triangulaires de nuances différentes, que la pluie fait reluire.. A voir  le torrent dévaler le pente sur la place, on salue d’un chapeau (mouillé) la maîtrise des flux de l’ancêtre étrusque.  Vues d’en haut, les fourmis n’ont pas dix huit mètres mais un parapluie sur la tête…  Hélas, pas le temps de s’éterniser, le dieu horloger sinistre, effrayant, impassible m’impose de redescendre au bout de dix petites minutes… Serait-il de mèche avec l’exploitant ? Voilà qu’il  déchaîne l’orage. Ce n’est plus le moment de tutoyer les anges.

Mon voyage en hautes sphères s’achève là. Je vous épargne ma montée à la coupole du baptistère de Pise (encore que, si vous insistez…) et à celle de la tour de San Miniato.  En revanche, j’ai capitulé devant l’ascension de la Tour penchée. Pendente n’est pas adjectif qui dynamise. Et puis, si j’avais persévéré dans mes grimpettes,  je risquais de ne plus pouvoir entrer dans mes chaussettes de contention.

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4 réponses à Ma Toscane vue d’en haut

  1. Pierre DERENNE dit :

    Just saying: on peut être sous la coupole mais on regarde le dôme… Merci pour ce « dénivelé »…

  2. Bruno Sillard dit :

    De passage dans ce petit bijou qu’est Lucca, nous avions trouvé un hôtel bien mignon, la chambre sous les toits. En face, séparé par la ruelle étroite un campanile J’ai eu l’impression de l’entendre décompter les heures toute la nuit…
    Bien belle balade Guillemette et …
    Elle est où ? Guillemette ?
    On me dit qu’elle escalade les tours de San Gimignano !

    • de FOS dit :

      Me voici redescendue sur la plancher des vaches, cher Bruno, mais avec des étoiles toscanes dans la tête. Il me semble que Lucca fait l’unanimité…

  3. Ma préférence va à Lucca. Merci pour ce texte juché. PHB

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