« Surtout ne limitez pas Lucio Fontana à ses fentes ». Lors du vernissage presse de l’artiste d’origine argentine qui va occuper jusqu’en août le Musée d’art moderne, la recommandation était contenue dans les trois discours de présentation. Ni à ses fentes, pas plus qu’à ses trous ont-ils d’ailleurs complété, tant l’œuvre de cet artiste présenté au Mam dans l’ordre chronologique s’étale sur un répertoire bien plus vaste.
Difficile pourtant de renoncer à y penser puisque l’affiche de l’exposition est précisément un monochrome rouge comportant plusieurs balafres aussi nettes que verticales. Mais dans le hall du musée, avant même le parcours, a été fixée au plafond, comme un avertissement concret, une sculpture monumentale constituée d’un tube de néon s’évadant dans une folle course sinueuse et cette fois sans un coup de cutter.
Pourtant Lucio Fontana (1899/1968) aimait ses lacérations puisqu’il disait « quand je m’assois face à une de mes fentes, à la contempler, j’éprouve soudainement une grande détente de l’esprit, je me sens un homme libéré de l’esclavage de la matière, un homme qui appartient à l’étendue du présent et du futur ». Sa carrière s’est construite depuis Milan et c’est entre 1960 et 1968 qu’il se lâche dans les Tagli (fentes) lesquelles relèvent de son Concetto spaziale (concept spatial) ou d’Attese (attentes) « lorsqu’il y a plusieurs fentes » nous précise-t-on.
Il est loisible de faire un lien psychanalytique avec tout ça d’autant qu’auparavant, il a eu sa période Buchi (trous) et d’ailleurs, un film le montre en train de frapper une toile avec ce qui semble être un marteau et un burin. C’était entre 1949 et 1952. Le parcours est jalonné d’œuvres à trous, soit en jolies figures circulaires ou géométriques soit de la façon la plus primale possible qui évoque la brutalité d’un jet de caillou d’où résulterait une toile crevée.
Il serait oiseux de ricaner sur la simplicité apparente de ces deux concepts. Lucio Fontana est l’un des pionniers de l’abstraction, du spatialisme et qui a influencé plusieurs générations d’artistes dont Yves Klein. Sculpteur, il s’est attaqué à travailler des matières aussi diverses que le ciment, la céramique ou le néon avec un sens de l’expérimentation qui a sûrement libéré des vocations.
Les quelque deux cents œuvres présentées donnent la mesure de ses investigations et démontrent qu’effectivement on ne peut pas résumer un artiste à ses icônes pas plus que le plasticien Klein à son monochrome bleu. Fontana est quelqu’un qui a beaucoup cherché contrairement par exemple à un Poliakoff qui s’est tenu pour une longue période à genre donné, décliné en de nombreuses variations.
Sur la fin de sa vie il a également réalisé une série de nus à l’encre de chine qui ne sont pas sans rappeler des Picabia par leur esthétisme, la vivacité et la maîtrise du trait. De même qu’il s’est également essayé à l’architecture selon deux maquettes présentées, Lucio Fontana a finalement beaucoup exploré, de la sculpture représentative à l’abstraction lacérée ou perforée. S’est-il un jour trouvé depuis qu’il est passé au-delà des fentes, là est la question.
PHB