Nous avions l’habitude de ses colères, une colère bruyante mais qui ne nous effrayait guère même s’il était préférable alors de nous éloigner un peu, aller aux toilettes dans le jardin ou monter dans nos chambres chercher un livre, très important l’idée du livre ! L’orage passait en général assez rapidement. J’étais venu à Thouars dans le nord des Deux-Sèvres avec un petit copain passer les fêtes de Pâques.
Et voilà que le jeudi soir, ma grand-mère venait de s’apercevoir que le lendemain était le Vendredi saint, jour de carême s’il en est, nous n’allions pas bâfrer le jour de la crucifixion du Christ ! Dans les années cinquante ou soixante aucune boucherie n’était d’ailleurs ouverte le Vendredi saint.
Ma grand-mère était croyante comme tout un chacun à l’époque, et elle savait s’arranger des lettres de l’église. Du moins tant que cela restait en famille… Seulement voilà, mon petit copain faisait tache au milieu des secrets de famille, et surtout il n’y avait pas que les boucheries de fermées, le marché l’était lui aussi mais c’était normal et donc la poissonnerie aussi. J’appris plus tard qu’un conseil de famille s’était même tenu au téléphone entre mes parents et mes grands-parents. Il fut même envisagé de reconduire le gamin chez lui. Cela aurait ouvert la porte à toutes les rumeurs et surtout la violence d’une telle décision eût été disproportionnée pour un poulet déjà occis. Il était aussi difficile d’interroger mon camarade sur la religion de sa famille ? Une vingtaine d’années après la fin de la guerre, cela aurait pu paraître malintentionné. Ma grand-mère retrouva son calme, l’orage était passé, elle trancha : « Pour demain ce sera une omelette avec une salade. »
Mais pas n’importe quelle omelette. Deux œufs par personne chacun salé très légèrement. Il fallait ensuite les battre, longtemps, avec énergie pour qu’il n’y ait plus de trace de blancs et qu’elle soit mousseuse. Une fois le beurre fondu, mais pas noirci, elle versait dans la grande poêle noire les œufs battus. Il s’agit de cuisiner une omelette et non pas des œufs brouillés ni bien sûr une espèce de gâteau compact. Avec le dos d’une fourchette, en un mouvement rotatif, doucement, elle décollait une feuille d’œufs directement en contact avec le fond de la poêle pour la ramener vers le centre. Une fois l’omelette cuite mais encore baveuse, je revois ma grand-mère plier l’omelette d’un mouvement sec de sa poêle pour qu’elle prenne la forme d’un croissant, encore un coup de chaud quelques minutes. Elle la servit enfin en ayant pris soin de la retourner, juste dorée comme il faut.
Traditionnellement, le dimanche de Pâques marque la fin du carême. Mauvaise saison pour l’agneau, souvent le repas de Pâques était l’occasion de réunir la famille. Le traditionnel gigot était invité à notre table. Il était couché dans un plat, mouillé d’un peu d’eau et d’huile d’olives. Le débat à savoir quelle préséance fallait-il donner à la salade, la servir avant, pendant ou après la viande n’étant pas tranché, le saladier était posé sur la table, laissée aux désirs de chacun.
Certains piquent des gousses d’ail dans la viande, le clan familial préférait accompagner le plat principal d’une purée d’ail. Pour se faire, on prenait six gousses (des gousses et non des têtes !) pour les faire bouillir dans de l’eau. Une fois devenues molles elles étaient écrasées, puis montées avec de la maïzena et du beurre. Enfin la purée d’ail était mouillée d’un peu de jus de viande.
Il est un légume hélas aujourd’hui disparu, on le trouve malgré tout chez Picard surgelé ainsi qu’également en boîtes de conserve. Quand on regarde les vieux menus de fêtes dans l’ouest, on y trouve fréquemment indiqué pour accompagner la viande « des racines », le salsifis. Ce légume a disparu des étals, pour une raison simple. Il faut l’éplucher, mais si la chair est blanche, la peau est noire, collante, on a peine à se laver ensuite les mains. Le salsifis, coupés en morceau devait être blanchi une bonne vingtaine de minutes. Le gigot décrété cuit par mon grand-père, il lui revenait de couper les tranches pendant que ma grand-mère saisissait du plat pour le déglacer d’un bon verre de vin blanc, les salsifis y étaient revenus.
Le dimanche, ma sœur ou moi étions envoyés chercher des gâteaux déjà commandés. Nous nous régalions… (hum) …de têtes de nègres. En ce tout début des années soixante, l’heure n’était pas au politiquement correct. Les têtes de choses n’étaient qu’une boule de meringue recouverte d’éclat de chocolat. J’imagine que je les trouverais aujourd’hui trop sucrées, la mémoire a ses chasses gardées.
Un dimanche, l’orage éclatât, impossible d’y échapper. Ma mère m’avait envoyé chercher un gâteau. Une tarte aux fruits. Le carton était bien grand et moi bien petit. Au début tout se passa bien, jusqu’à que je sois attaqué par un tigre. En général, je sortais toujours triomphant de ce genre de situation. Mais figurez-vous, je vous jure que c’est vrai, le tigre donna un coup de pâte sur le carton, heureusement je le récupérai d’une main, mon autre main tenait mon arme. Une troisième main survola ma tête et je fus expédié dans ma chambre. Le gâteau, à mon insu, s’était libéré de sa cargaison de fruits. Un jour faites-moi penser à vous raconter des histoires de mogettes.
J’ai déjà consacré pour l’entrée un texte sur le pâté, je n’y reviens donc pas…
J’ai dix ans et je vais avec toi Bruno qui a 7 ans dans cette pâtisserie où le dimanche on choisissait notre gâteau individuel et 50 et quelques années plus tard, j’ai encore la sensation agréable du croquant de ces 2 meringues blanches, collées entre elles par une crème et recouvertes d’éclat de chocolat…cette « tete-choco » s’appelle maintenant « Merveilleux » et c’est exactement le souvenirs que j’en ai !
OK pour les mogettes, dont on se demande quelle est la différence avec le haricot blanc de base. PHB
Les mogettes, un haricot blanc de base pfffffffff!!!
Comme le légume se ramasse en été, je vous en parlerai en septembre… Un haricot blanc de base, et pourquoi pas des fayots pendant qu’on y est!
Souvenir, à la lecture de ce texte, d’un repas à la campagne aveyronnaise (dans une ferme voisine de celle où est né mon père), un soir il y a 30 ans environ, où ma grand tante par alliance s’était attelée, en sus d’un poulet rôti tué l’après-midi même, à préparer des salsifis (était-ce dans la même grande poêle noire que celle de votre omelette ?) cultivés sur place. Quelque chose de magistral, évidemment incomparable avec ce qui sort des boîtes que je continue malgré tout d’acheter car c’est un légume simple et bon (surtout lorsqu’il a été préparé par quelqu’un d’autre avant)…
Chaque lecteur dévidera ses propres souvenirs de plaisirs et contraintes liés aux agapes familiales: autant de madeleines ou d’ogres, selon le moment – c’est le premier don que nous recevons des pages de Bruno. Mais ici je trouve aussi le chiffre secret de tous ces dimanches familiaux, rites et souvenirs que ranime la saison pascale, enfance perdue, enjolivures attendries et conscientes : il tient dans la formule magique « la mémoire a ses chasses gardées ». Merci.
Touché cœur, merci
Je sens la bonne odeur du gigot, qui n’a rien à voir avec celle du mouton, merci Bruno !
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