Il est moins étonnant que Fluide Glacial publie un numéro spécial sur Marcel Gotlib (puisqu’il en est le fondateur) que le Musée d’art et d’histoire du judaïsme ne lui consacre une rétrospective. L’auteur de bande dessinée lui-même s’est déclaré étonné que l’on puisse le faire entrer au musée à l’occasion de ses 80 ans. Il y a là en effet quelque chose qui détonne entre cet homme, avec son sens si élevé de la dérision, et tout le sérieux qu’un musée évoque. Encore que…
Car dans ce hors-série de Fluide Glacial, il y a plusieurs pages singulièrement touchantes qui ne manquent pas de nous surprendre alors que l’on s’apprêtait, conquis d’avance, à se tenir les côtes de rire. Gotlib a en effet mis en scène un petit garçon, Marcel Gottlieb (son vrai nom), qui ne comprend pas pourquoi il a été soudainement envoyé à la campagne garder les chèvres. Au fil des cases, le lecteur, son lecteur, finit par réaliser que l’action se déroule en 1944. Si le petit garçon dessiné peut chanter comptine à son amie la chèvre, c’est surtout pour éviter les rafles.
Dans une deuxième histoire, Gotlib se met à nouveau en scène, en adulte expliquant son art à la télévision. Il est notamment regardé par sa mère que l’auteur a été obligé d’installer dans une maison spécialisée pour les personnes âgées en état de faiblesse. Dans la dernière case il a dessiné sa mère éblouie d’avoir vu son fils lui apparaître, avec une sensibilité que les lecteurs de Pilote, de L’Echo des Savanes et de Fluide Glacial ne connaissaient pas vraiment au dessinateur.
Car Gotlib, c’est pour quelques générations, des fous rires en cascade. Outre le don de pouvoir à distance faire en sorte que les gens se plient en deux, il avait de surcroît cette capacité à faire jouer le ressort de la dérision, talent tellement tombé en désuétude que les gens qui emplissent actuellement les écrans de télévision auraient bien du mal à en épeler le mot.
S’y ajoute un penchant pour l’humour potache qui fait de la parodie de l’album des Beatles, Abbey Road, un bon résumé des capacités de l’artiste. On y voit croqués ses petits louveteaux, emmenés par leur chef Hamster Jovial, personnages emblématiques de sa période libérée qui lui ont fait quitter Pilote et co-créer, avec Claire Brétécher et Mandryka, L’Echo des Savanes.
Vers la fin des années soixante dix, il va fonder avec Jacques Diament Fluide Glacial, journal d’humour indépassable pendant plus d’une dizaine d’années et qui verra apparaître de grosses pointures comme Goossens et Edika. Malheureusement, à de trop rares exceptions près, ce journal n’a plus la même verve, la même concentration d’humour, les mêmes talents qu’autrefois.
Raison de plus pour ne pas rater cet opus réussi, offert à Marcel Gotlib, avec toutes les guest stars qui s’imposent tels le regretté Pervers Pépère ou le placide Gai Luron. Ce dernier, (chien inspiré de Droopy de Tex Avery, Gotlib rend d’ailleurs hommage au maître du dessin animé américain ), Gai luron donc, que Gotlib montre émergeant un jour de l’encrier de sa table de travail pour proférer une revendication. Car « croyez-le, ou ne le croyez pas, écrit Gotlib, c’est dans l’encrier du dessinateur que vivent ses personnages lorsqu’ils ne sont pas encore dessinés ».
Outre la dérision, Gotlib pratiquait aussi l’auto-dérision, denrée elle aussi quasiment disparue, sans doute en raison du réchauffement climatique et de ses avatars durables.
PHB
Gotlib ! Toute mon enfance passa au rythme des « Dingodossiers » et des « Rubriques à brac » (avec la petite coccinelle qui se baladait de planche en planche. C’était aussi une vision comico-sociologique de notre société. C’est drôle mais je me revois remonter des tas de pages. La copies corrigées du prof. Un texte bucolique ou l’élève se régale du chant des oiseaux biffé par le prof entouré de toute une bruyante marmaille qui écrit, c’est quoi ce vacarme !
Vachement fin : la naissance vu du regard du bébé, d’abord flou, puis découvrant ses mains … Je crois que c’est Gotlib qui colla à Jacques Chancel qui discutait avec une personnalité de 17 à 18 heures sur Inter, le « et Dieu dans tout ça ? ». Chancel s’est toujours défendu d’avoir dit cela