De là où il se trouve Max Jacob sait déjà que l’exposition dévolue à son ami Picasso et abritée au Musée de Montmartre aura du succès. Il le sait parce que y compris de son vivant il savait tout à l’avance, de même lorsqu’il confia un jour à Fernande Olivier que c’était une erreur pour la bande d’amis qui régnait alors sur les arts, de quitter le creuset créatif qu’était Montmartre.
Cette exposition scelle la fin des quatre albums racontant les débuts de Picasso sur la butte. Le numéro quatre de la série « Pablo » achève de nous raconter la vie pauvre mais heureuse et folle des peintres ou poètes dont la réunion (les réunions) allait influencer pour très longtemps le monde des arts. Le cubisme est tout de même sorti de là.
Au début de cette série il y a eu la découverte par la scénariste Julie Birmant d’un livre de Fernande Olivier, la compagne des débuts de l’artiste espagnol. Le premier tome met en scène le vieux fantôme de Fernande qui se souvient de sa jeunesse. En quatre ouvrages, au terme d’une vraie enquête et du concours artistique très sûr du dessinateur Clément Oubrerie, le lecteur a la chance de pouvoir s’immerger dans cette époque géniale autant que révolue.
Mais les deux premiers à avoir eu cette grâce sont les deux auteurs dont on sent bien l’implication intime, à travers une extrême, judicieuse et délicieuse empathie. L’alacrité, les manifestations de désir amoureux, tout comme les instants d’humeur de Fernande Olivier, donnent un rythme tel à cette narration, que jamais l’on ne s’y ennuie.
L’autre personne à avoir capitulé devant le charme de cette histoire si richement groupée d’individus hors normes (1) est Sophie Egly, la directrice du Musée de Montmartre. Sans rien déranger de sa collection permanente, elle a amalgamé sur les murs de sa très enviable maison, les esquisses et recherches qui ont préludé aux quatre albums de BD. L’enthousiasme de Julie Birmant pour Fernande Olivier, Picasso et sa bande, le travail du dessinateur, l’ont contaminée. « C’est tout le génie de Julie Birmant et de Clément Oubrerie écrit-elle, que de rendre justice à Fernande et à ses amis, non point avec emphase, mais avec une légèreté qui rend tout ce monde étonnamment présent ».
Les pages du dernier Pablo comportent de beaux passages oniriques (un Picasso minuscule sur le corps nu et géant de Fernande), une séquence drôlatique (le crâne du Douanier Rousseau endormi sur lequel se forme un dôme de cire fondue) et puis la fin à venir de la période montmartroise lors de laquelle, comme le souligne le commissaire de l’exposition Neville Rowley, « les prophéties de Max s’accumulent comme des nuages noirs« . La fin de la fête.
Bien sûr les deux auteurs ont pris des libertés. Apollinaire au volant d’une voiture en compagnie de sa mère, aucun document ne peut l’attester mais le talent de la mise en scène fait que cette image (comme bien d’autres) en devient probable, presque avérée. L’histoire, grâce à eux, se complète. Elle permet finalement aux protagonistes d’y revenir par enchantement.
De l’art, de l’amitié, de la poésie, du désir, de la fantaisie, comment résister à la restitution d’un tel cocktail si bien coloré, si bien inspiré, si bien servi.
Le dernier album a été publié chez Dargaud.
Le Musée de Montmartre avec ses si agréables jardins est au 12 rue Cortot. Jusqu’au 31 août.
(1) La plupart des personnages cités dans cette BD ont été peu prou des protagonistes des Soirées de Paris haute époque.
Pour les amateurs, le tome 4 de la BD, intitulé « Picasso », est encore en ligne sur lemonde.fr avec une ergonomie de lecture très réussie pour les tablettes :
http://www.lemonde.fr/culture/visuel/2014/02/24/pablo-les-premiers-traits-de-picasso-en-bd_4369499_3246.html