Une tour sous la toise

Aspect de l'exposition "Ponte City" au Bal. Photo: Les Soirées de Paris.Cette petite photo jaunie a été ramassée dans un appartement vide vers 2008 par Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse. C’est à partir de cette date qu’ils ont entamé un travail photographique et documentaire sur la tour Ponte City de Johannesburg. Un bâtiment à l’ambition statutaire extravagante qui symbolise tout à la fois la fin de l’apartheid et une période transitoire qui n’en finit pas de se chercher. Une exposition qu’il ne faut pas manquer au BAL, à un jet de pierre de la place de Clichy.

Même en photo, la démesure de la tour Ponte City dans le quartier de Hillbrow, saisit le visiteur à la gorge. C’était la fin des années soixante. L’Afrique du Sud toujours intraitable sur la séparation raciale était alors au faîte de son orgueil et de sa confiance. L’érection de ce bâtiment de 54 étages (un peu l’équivalent en hauteur de notre tour Montparnasse) allait en être le symbole. Evidée en son centre, elle se devait de symboliser la richesse de ses occupants blancs.

Mais les premières émeutes de Soweto ont mis à bas le projet. Le cylindre géant qui toisait de si haut les environs, y compris les quartiers noirs, n’a pas eu le temps de jouir de son prestige. La tour est alors investie par les familles pauvres, les quartiers environnants dégénèrent. Il est raconté que le tas d’ordures en son centre grimpe jusqu’au quatrième étage.

Aspect de l'exposition "Ponte City" au Bal. Photo: Les Soirées de Paris.

Exposition « Ponte City ». Photo: Les Soirées. de Paris

En 2007, des investisseurs s’approprient la tour, expulsent paraît-il en douceur des habitants qui n’auraient pas eu les moyens de payer le demi million de rands pour un deux pièces et s’affairent à une réhabilitation idéale. Mais la crise financière de 2008 intervient comme une deuxième malédiction, les financiers s’évanouissent et le bâtiment reprend sa liberté.

 

Le travail effectué par Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse est en tout point remarquable. Ils ont par exemple superposé des photos d’habitants récents sur des clichés de la construction. L’effet de contrepoint fonctionne parfaitement. Ils sont allés à la rencontre des familles et aligné autant de photos sans volonté apparente de faire gémir et c’est mieux ainsi. Dans toute leur simplicité, leurs photos nous parlent mieux que si elles étaient parées d’une intention par trop évidente.

Et au-delà de ça, les deux auteurs ont ramassé dans les appartements vidés tout ce qui ressemblait à une trace de vie comme des documents officiels ou des photos d’inconnus que le visiteur est parfois obligé de légender tout seul en s’interrogeant sur ses propres traces.

La scénographie se caractérise également par des blocs de papiers à disposition comportant des extraits de textes liés à cette tour. Il faudra prendre le temps de les lire car ils apportent encore davantage à cette exposition captivante. L’une de ces « tours » de papiers détachables raconte notamment l’histoire de Jérôme Matondo Kabangu, un jeune homme à identité variable, dont les deux auteurs ont pu ébaucher le portrait à partir de documents récupérés dans l’appartement 3607.

Aspect de l'exposition "Ponte City" au BAL. Photo: Les Soirées de Paris

« Ponte City » au BAL. Photo: Les Soirées de Paris

Non vraiment, cette exposition qui se tient jusqu’au 20 avril nous alpague avec raison et il bien serait dommage de passer à côté.

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