Ce matin au fourneau je suis d’humeur badine,
Me jouant de la question « Ce soir, qu’est-ce- qu’on dîne ? »
Des petits Belges fripés roulent dans mon cabas
Qui brûlent de désir pour d’effilées gambas.
Il leur faudra passer par l’épreuve d’étuvage.
Après un bain glacé, ils se feront plus sages.
L’hiver se termine, il ne reste plus quelques semaines pour consommer des choux de Bruxelles. On doit ces bourgeons comestibles du chou en forme de petites pommes ridées à nos amis belges. Jadis, manquant de surfaces arables à l’intérieur de leurs fortifications, ils inventèrent cet hybride de chou cultivé à la verticale, combinant gain de place et meilleur rendement. Sur un tronc trapu d’environ un mètre de haut s’agglutinent en bouquets des dizaines de petits choux de deux à quatre centimètres de diamètre. La moule aussi pousse en hauteur quand elle délaisse l’horizontalité du rocher pour s’accrocher au bouchot. Le chou, la moule… ne manque plus que la frite.
Aujourd’hui, le chou dit de Bruxelles est cultivé en France, dans le Nord du pays, le Val de Loire et la Région parisienne. Il a sa version ibérique, le chou de Galice : de ses larges oreilles en feuilles de chou on tire la soupe locale, un rata au goût aussi prononcé que l’odeur. Elle imprègne les champs d’où l’on peine à voir émerger la tête des maraîchers. Les natifs de la région sont de petite taille.
Mais revenons à nos fourneaux. Ce soir là, d’humeur guillerette, l’idée me vint d’effectuer un dressage des ingrédients avant préparation et non une fois servis à l’assiette. Pour le plaisir des yeux de la cuisinière. Je plaçai quelques grosses crevettes en guise de tignasse hirsute. J’écarquillai deux kumquats étonnés au-dessus d’un nez en forme de bille surmontant une bouche hilare faite d’une tige de civette et prête à me faire un brin de causette.
Quel numéro allais-je réserver aux acteurs ? M’attaquant aux petits Bruxellois, j’ôtai au couteau un peu de leur fondement crotté pour que « le cul-terreux s’retrouve par terre ». Puis j’incisai en croix le trognon, début pour eux d’un long chemin de croix. Je les ébouillantai ensuite durant trois ou quatre minutes pour anéantir toute velléité de vengeance posthume (les flatulences). Une fois les choux égouttés, je les jetai dans un saladier rempli de glaçons. L’opération leur permet de garder leur chlorophylle, donc de rester d’une couleur tendre sans amertume. Pauvre légume !, à subir pareil sauna, Agnès se fut exclamée le petit chou est mort. Il restait à les cuire dans un fait-tout rempli d’eau salée additionnée d’un bouillon cube de poule (veau et bœuf font aussi bien l’affaire) et d’une ou deux cuillérées à soupe d’huile d’olive. Le recours à l’oléagineux fait de ces petits choux des bijoux à tomber à genoux. Il les enveloppe d’un peignoir de laque au sortir du bain. Comptez une bonne vingtaine de minutes de cuisson pour que ces bourgeons ne restent pas durs comme des cailloux *.
Les grosses crevettes une fois épluchées n’eurent droit qu’à un unique plongeon dans l’huile bouillante augmentée d’une cuillérée à soupe de curry et d’une échalote coupée en menus morceaux. Un traitement tout aussi barbare vu que les assaillantes n’avaient déjà plus la force d’escalader la poêle.
Dans l’assiette, on mit les crustacés roses à escalader les crucifères verts et blancs mêlés à quelques lamelles de kumquat orange apportant à la distribution une touche d’acidulé. Le plat avait comme il se doit trois couleurs. Mais j’en ajoutais une troisième pour le fun, quelques baies de Goji. Ce petit fruit rouge originaire d’Asie est paré de vertus anti-oxydantes. Il est censé lutter contre les tendances à la dépression. L’humeur guillerette disais-je.
* Et fermez la fenêtre pour ne pas entendre le hibou se mettre à hululer sur sa branche de houx.
Voilà une nage où il fait envie de se plonger!
M’attaquant aux petits Bruxellois, j’ôtai au couteau un peu de leur fondement crotté pour que « le cul-terreux s’retrouve par terre ». J’aime beaucoup cette formule. PHB