On pense à Dufy, Courbet, Monet, Marquet, la vue maritime étant toujours irrésistible pour les peintres. Sur cette photographie, le sillage d’un bateau coupe l’image. Il se passe sans cesse quelque chose au-dessus des flots. Depuis la Citadelle de Port-Louis dans le Morbihan, le regard, l’esprit et les poumons profitent des bienfaits de cette rade, à maints égards vivifiante. Alors qu’il y a quelques siècles, c’était davantage un « hub » commercial, pour utiliser le langage moderne. Et le promontoire sur lequel les Espagnols édifièrent en premier une citadelle, servait à anticiper les attaques de marins avides d’épices et de produits revenus d’Inde. Il y avait des canons à terre pour se défendre et des canons à bord pour détruire le dispositif de défense. Aujourd’hui l’on jouit seulement du panorama et de l’histoire de ces vieux murs, alors qu’avant c’était pour affaires. On partait d’ici pour les Indes et plus globalement vers l’Asie en contournant l’Afrique par le sud et le retour du vaisseau, s’effectuait avec une ligne de flottaison accusant la charge.
Mine de rien, l’endroit reste un point de surveillance pour le ministère des Armées. Mais on ne stocke plus de poudre (1) dans l’arsenal de la citadelle, les canons sont là pour faire joli et rappeler l’histoire. Encore que les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale et donc il n’y a pas si longtemps, avaient investi les lieux, détruisant les échauguettes (reconstruites depuis) afin que leur artillerie y soit plus à l’aise. Il faut se méfier avec les citadelles, ça peut redémarrer avec les objectifs de départ, tout comme Alcatraz dans la baie de San Francisco à ce que l’on entend.
Toujours est-il que ce sont bien les Espagnols qui inaugurèrent la première fortification, à des fins tout à la fois militaires et commerciales, les deux aspects étant alors indissociables. En 1591, un ingénieur répondant au nom de Cristobál de Rojas construisit un fort baptisé El Fuerte del aguila (le port de l’aigle) sachant que le nom faisait référence au commandant des troupes locales implantées dans la commune de Blavet. Une époque où l’on s’installait par la force, le but étant de tenir la position. Les Espagnols furent reconduits au pays après qu’on leur eut demandé de détruire ce qu’ils avaient bâti, ce qui fut fait partiellement. Le Maréchal de Brissac, chargé de la reconstruction, convint probablement que les plans étaient bons car il les conserva. Ce que l’on voit aujourd’hui est donc un mélange franco-ibérique de bon aloi. Et cette histoire nous occasionne des fourmillements dans les veines, d’autant que la Route de la soie a été réactivée depuis peu par le dragon chinois. Hissons donc les pavillons.
La citadelle contient un musée dans lequel il fait bon flâner et se renseigner par imprégnation sur le passé. Une partie est consacrée au sauvetage en mer et l’autre aux fameuses expéditions commerciales. Où le panache, sans être le dessein premier, faisait partie du schéma. Si Port-Louis fait allusion à Louis XIII, car c’est lui qui prit l’affaire en mains, c’est sous le règne du suivant (XIV donc) que Colbert fondit la Compagnie française des Indes orientales afin de concurrencer les autres nations telles la Hollande ou l’Angleterre. Les Français étaient déjà bien installés à l’Île-de-France (Maurice) ou l’Île Bourbon (Réunion), mais il s’agissait d’étapes vers un eldorado plus éloigné. C’est comme cela qu’en regardant les gravures anciennes ou les canons également gravés, que ce musée nous fait naviguer sans haut-le-cœur vers Pondichéry et Chandernagor, tandis que des effluves de thé, d’épices, nous chatouillent le nez avec une tonalité agréablement iodée.
Parfois un récif non signalé envoyait un gros bateau par le fond. Comme au mois de mars 1609 où le Mauritius, battant pavillon hollandais et de retour de Chine, coula au large du Gabon. Vaisseau de la Compagnie hollandaise des Indes Orientales, il sombra avec son poivre, ses lingots métalliques et des échantillons de porcelaine chinoise. Il ne reposait pas bien loin sur le fond, seulement à douze mètres. Ce qui fait qu’en 1985, une compagnie pétrolière a retrouvé l’épave en cherchant du pétrole, bel exemple de sérendipité. Manquait l’opium, mais les poissons, les poulpes, les méduses et les crabes n’avaient probablement pas manqué l’occasion de trouver dans cette substance méphistophélique, le moyen de faire des rêves de surface.
Cette citadelle a conservé dans ses murs la vibration intemporelle de l’aventure. Ce qui fait qu’au fond, on ne regarde pas vers le large. Mais l’on y guette la voile qui nous emportera.
PHB
(1) Ceux qui étaient chargés de garder la poudre veillaient à ne pas porter de souliers cloutés afin d’éviter toute étincelle fatale.
Citadelle de Port-Louis (Morbihan)
Photos: ©PHB
Elle vibre jusqu’à nous, l’onde intemporelle de l’aventure, grâce à cet article, merci cher Philippe.