Les éleveurs de licornes se font rares. Et à condition que l’on en trouve une, il faut encore dénicher un palefrenier spécialisé. Question vaccinations, il est aussi nécessaire de repérer un vétérinaire compréhensif qui saura réprimer le flottement intellectuel bien naturel, à la vue de l’animal unicorne dans l’antichambre de sa clinique. Ces destriers nimbés de lumière blanche aux yeux facilement étoilés ne sont en principe visibles qu’aux personnes sans préjugés, clles à même de discerner un phénomène extraordinaire dans un décor banal, un quai de RER par exemple. On peut toujours par défaut, se procurer un canasson de rebut, lui lustrer la crinière avec du bicarbonate et lui coller un cône en carton sur le front. Mais le subterfuge sera vite éventé. On en connaît qui se sont bricolé des hippogriffes avec fort peu de moyens. Cependant, le cheval ailé n’a pas le même prestige que la licorne, ni la même magie, ni les mêmes pouvoirs. Celle que l’on voit sur la tapisserie du musée de Cluny à Paris (ci-dessus) a sûrement été réalisée d’après modèle. Elle a l’air trop vrai, racontant avec délicatesse plusieurs sens de la vie. Elle est symbole de pureté, de virginité, et dont l’origine serait asiatique bien avant l’ère chrétienne: la licorne revient dans l’actualité.
Certes elles occupent de nouveau le devant de la scène, mais débarrassées de toute magie. Ce ne sont plus des équidés nimbés de clarté, mais des start-up valorisées un milliard de dollars. Amis de la poésie et des arts, veuillez passer votre chemin.
Dans son « Journal » du voleur, ouvrage autobiographique, Jean Genet (1910-1986), mentionnait à juste titre l’animal mythique en ces termes: « S’il se produit quelque chose, me disais-je, c’est l’apparition d’une licorne. Un tel instant et un tel endroit ne peuvent accoucher que d’une licorne. » On voit bien qu’à partir du moment où la vie évacue le banal, quand l’on sent bien qu’une atmosphère étrange et ouatée nous entoure, advient alors la seconde extraordinaire où peuvent apparaître au choix, la Vierge se balançant sur une nacelle de gaze ou Ivanhoé chevauchant une licorne immaculée. Tout ça pour en arriver à se vanter, en 2025, d’avoir érigé une montagne de dollars. Il paraît qu’il existe une bière japonaise (Kirin) dont l’emblème est la licorne mais cet artifice commercial est bien peu de chose en regard de la définition actuelle, surtout en ce qui concerne la bière, breuvage tellement ancien qu’il faisait voir des unicornes roses à ceux qui en abusaient.
Ce devait être le cas de Thibaut de Champagne (1201-1253), lequel ne se contentait pas d’être roi de Navarre mais aussi trouvère. Haute époque où l’on croyait aussi bien en Dieu qu’aux licornes et à propos desquelles il avait chanté: « Je suis semblable à la licorne/Que sa contemplation me frappe de stupeur/Quand elle regarde la jeune fille/Elle éprouve tant de joie à ce qui la tourmente/Qu’elle tombe pâmée sur le sein de la Vierge/Alors on la tue par traîtrise… » Quant au peu mentionné Johannis de Hesse, il avait rapporté, à la veille des années 1400, avoir vu en Terre Sainte, une licorne sortir d’une rivière après l’avoir purifiée et faire en sorte que tous pussent y boire sans crainte d’un empoisonnement.
Nous avons encore besoin de légendes et si on peut convenir qu’il est des entreprises presque légendaires dans le monde sans âme du capital-investissement, elles n’ont pas encore atteint le niveau mythique de la licorne. L’inestimable Hayao Miyazaki, avait peuplé nombre de ses films d’animaux fantastiques, dotés de pouvoirs magiques, bienfaisants ou maléfiques. Notamment dans son film « La princesse Mononoké » où un dieu de la montagne en forme de cervidé faisait pousser les fleurs dès qu’il touchait la terre de son souffle et guérissait même les plaies en les baisant.
Il faut pourtant y croire, car elles sont juste de l’autre côté du miroir, ainsi que l’avait mentionné Lewis Carroll dans son œuvre la plus célèbre. Alice y rencontrait une licorne qui lui avouait avoir toujours cru que les petites filles étaient des mythes. Et que si Alice voulait bien croire en elle, la licorne lui rendrait la pareille.
C’est une investisseuse américaine, Aileen Lee, qui a jugé le terme adéquat il y a un peu plus de dix ans (unicorn en anglais) afin de désigner les entreprises juteuses à fort potentiel. Il en a découlé paraît-il, une déclinaison bien dans l’esprit contemporain des money makers, en fonction du volume de fric visé: licorne, décacorne, hectocorne etc. Pas besoin de se pincer pour y croire, on ne compte plus les titres de journaux à ce sujet.
PHB
Excusez-moi, mais une « femme de cheval » supporte mal le mot de « canasson »….
Péjoratif et si loin du fier destrier !
Et la licorne canassonne, vous en pensez quoi ?
Mais la licorne est toujours de sexe mâle, chère madame. C’est son genre grammatical qui est « féminin ». Sa longue corne frontale est d’ailleurs un emblème phallique suffisamment explicite.
Et pour l’homme grenouille, on va dire quoi ?
Il faut avoir soi-même chevauché une licorne un jour de brume sous le regard des elfes pour en parler avec tant d’élégance…