Porte des Lilas

« Porte des Lilas » est un film de René Clair, tourné entre décembre 1956 et février 1957, aux studios de Boulogne. Il adapte un roman de René Fallet, « La grande ceinture ». Un film en noir et blanc à l’atmosphère gris sombre. L’intrigue se déroule dans la Zone, quartiers populeux situés à la périphérie de Paris, au-delà des anciennes fortifications. Initialement dévolue aux manœuvres militaires, cette bande de terre fut progressivement occupée par des ateliers, des habitations ouvrières, des refuges de marginaux. Le tracé du périphérique a pris sa place.
Barbier, un malfrat poursuivi par la police force deux bons à rien, Juju et l’Artiste, à le cacher. L’Artiste, un gratte-guitare un peu anar, le planque dans sa cave. Juju, fainéant porté sur la bouteille, devient le protecteur de Barbier, dont il envie le culot et l’assurance vis-à-vis des femmes. Justement, il y a Maria, fille du mastroquet local, à qui Juju porte un amour sans espoir. Mais elle ne résiste pas au charme de Barbier, dont elle devine rapidement la présence clandestine. Barbier se comportant vis-à-vis d’elle comme un gougnafier, finalement, Juju le révolvérise. Clap de fin.
Dans le rôle de Barbier, Henri Vidal, beau gosse repéré par Édith Piaf, et qui épousera Michèle Morgan. Juju, l’alcoolique, se présente comme une seconde nature pour Pierre Brasseur. Dany Carrel, pétillante et fraîche, incarne Maria. Raymond Bussières poursuit sa série de patron de bistrot. Et Georges Brassens personnifie l’Artiste, interprétant, au cours des scènes, trois de ses chansons, « Au bois de mon cœur », « Le Vin » et « L’Amandier »…

L’expérience le laissera très dubitatif. Il se plaindra d’être apparu avec « une psychologie qui n’était pas la sienne ». « Je ne me suis pas reconnu », déplorera-t-il. En outre, « il faisait beaucoup trop chaud sur le plateau ». Et l’ambiance lui a rappelé l’usine. Il convient de relever qu’il avait une petite expérience en la matière, ayant travaillé trois mois comme manœuvre chez Renault, jusqu’au bombardement de l’usine de Billancourt, en juin 1940. Il n’avait accepté de faire l’acteur que sous les pressantes sollicitations de Fallet et de Brasseur. Sans même avoir lu le scénario. Par amitié. En dépit de l’opposition têtue de Pierre Otteniente,(1) son commensal, secrétaire, comptable, factotum qui y gagnera le surnom de Gibraltar. Car inébranlable dans son refus, tel le rocher du même nom.
Le film bénéficiera d’un bon accueil côté public. Il récoltera le Grand prix du cinéma français, sera évoqué à la Mostra de Venise, aux Oscars…Mais ce sera le seul et unique avec l’oncle Georges à l’affiche.

À l’époque, Georges Brassens a déjà sa bonne réputation. Révélé en janvier 1952 chez Patachou, il est passé aux Trois Baudets, engagé par Jacques Canetti, ou il a entamé sa carrière. Mais on ne le verra plus devant les caméras que pour être lui-même, au naturel. Ses rapports avec le cinéma se limiteront à la musique. En 1965, il compose « Les Copains d’abord », pour le film « Les Copains », d’Yves Robert, un ancien des Trois Baudets. Tiré du roman éponyme de Jules Romains, c’est l’histoire de sept zigotos qui entreprennent de foutre cul par-dessus tête l’Armée, l’Église et les Pouvoirs constitués. Ils sont interprétés à l’écran par des garçons prometteurs: Noiret, Rich, Bedos, Mondy, Marin, Lonsdale, Balutin.

Il écrit, en 1970, le refrain-leitmotiv du film d’Henri Colpi, « Heureux qui comme Ulysse ». Ouvrier de ferme, Fernandel sauve un cheval promis à l’abattoir, et s’enfuit vers la Camargue et la liberté. On retrouve enfin ses notes, en 1971, dans « Le Drapeau noir flotte sur la marmite ». Une mise en scène de Michel Audiard, à partir du roman de Fallet , »Il était un petit navire ». Jean Gabin en épicier mythomane s’invente un passé de loup de mer. Un bide absolu. Audiard et Gabin ne travailleront plus ensemble.

En souvenir de Brassens-acteur, la RATP a commandé, en 1986, à Michel L’Huillier, trois mosaïques pour décorer la station Porte des Lilas, sur la ligne 11. Brassens et sa pipe sont encadrés par deux bouquets de lilas, l’un rose, l’autre bleu. Des travaux de rénovation conduisent à les enlever, pour garantir l’étanchéité du plafond. Des « contraintes techniques » semblent rendre leur réintégration impossible… Architecte des Monuments historique, Jean François Lagneau voit dans cette affaire une pure question financière:  « s’il s’agissait de mosaïques romaines, on ne se poserait pas la question ».

L’association Racines du 93, a mis en ligne une pétition visant, à la conservation de l’œuvre. Si le cœur vous en dit…

Jean-Paul Demarez

(1) Tous deux requis au STO (service du travail obligatoire) par les autorités d’occupation, en 1942, Pierre Otteniente et Georges Brassens ont sympathisé au camp de Basdorf. Ils se sont retrouvés après la guerre, Otteniente étant « agent des contributions » et Brassens débutant chanteur. Handicapé administratif au point de ne savoir quoi faire d’un chèque, Brassens lui a demandé son aide. Ils ne se quitteront plus.
Photos: ©Jean-Paul Demarez-©PHB
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Une réponse à Porte des Lilas

  1. Dupuis Bernard dit :

    Comme toujours une solide documentation pour soutenir une dérision pleine d’humour ou plutôt d’esprit ; un moment de lecture très agréable. On constate que d’être un homme de scène ne fait pas de vous un acteur,certaines « vedettes « semblent l’ignorer .

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