Transmission

Le critique-jardinier Alain Lompech, ancien du Monde et de France Musique, parle d’Alexandre Kantorow, vingt-sept ans, comme « le fabuleux pianiste que le monde entier nous envie ». Il dit aussi: « Il joue du piano comme un dieu. » Également salué par la critique comme « la réincarnation de Liszt » (Fanfare Magazine), le fils du violoniste Jean-Jacques Kantorow est incontestablement « le plus grand pianiste de sa génération ». À ce propos, on évoque depuis longtemps « l’école de piano russe« , mais jamais « l’école de piano française », alors que nous sommes bénis des dieux: aux cinquantenaires comme Frank Braley, Éric Le Sage ou Jean-Efflam Bavouzet, ont succédé les quarantenaires comme Bertrand Chamayou ou David Fray, puis les trentenaires comme Rémi Geniet, Adam Laloum ou Lucas Debargue. Des exemples parmi d’autres.

Aussi romantique d’allure que le fut Liszt mais toujours maître de lui, le prodigieux Alexandre avance une bien intéressante hypothèse: en dehors de la position des bras et autres détails, ne parlait-on pas d’école russe parce qu’il y avait un grand attachement aux professeurs ? Eh bien nous y sommes, pense-t-il, à voir les générations de pianistes français se succéder. Il en est lui-même l’illustration, comme fils de deux violonistes, ou comme élève de Frank Brailey, deux générations au-dessus de lui, ou encore comme s’étant placé sous la protection de Lucas Debargue. Son aîné de sept ans l’orientera vers sa célèbre professeur russe Rena Cherechevskaïa, et le prendra sous son aile au point que le junior considère son aîné comme un grand-frère. Alors célébrons en sa personne la personnification de l’école française de piano !

Tout s’est enchaîné naturellement pour lui à un point… surnaturel. Son sacre date de 2019, lorsqu’il devient à vingt-deux ans le premier pianiste français à remporter le Premier Prix du Concours Tchaïkovski, ainsi que le Grand Prix, décerné seulement trois fois auparavant dans l’histoire du concours (fondé en 1958). Déflagration mondiale, et engagements tout aussi mondiaux et prestigieux. Mais ce jeune phénomène est déjà un vieux de la vieille.
Il a commencé le piano à cinq ans, est allé à partir de l’école primaire de conservatoire en conservatoire, a remporté ses premiers prix dès treize, quatorze ans, sous l’œil plus qu’attentif de ses deux parents violonistes. Il fera ses débuts à la Folle Journée de Nantes avec le Sinfonia Varsovia à l’âge de seize ans.

On ne l’imagine pas, comme les deux petits Martha (Arguerich) et Daniel (Barenboim), se cachant sous un piano pour continuer à jouer et échapper à une exhibition (voir mon article du 17 mai 2021). On imagine, au contraire, la qualité de la transmission père-fils en regardant la couverture du premier CD du fils, des sonates françaises enregistrées en 2014. Regardons sur la photo de couverture, à gauche, la minceur de la silhouette, la beauté et la concentration de ce visage de seize ans, surplombé sur la droite par le visage du père au violon, veillant sur lui tel un ange gardien.

À vingt-sept ans, il en est aujourd’hui à son huitième CD (voir première photo), achevant son cycle des trois premières sonates de Brahms. Il les a choisies parce qu’elles sont toutes trois différentes et appartiennent à la première période du musicien, la plus ambitieuse et la plus expérimentale selon lui. Nous y découvrons tout simplement un Brahms d’une légèreté et d’une invention inconnues jusque-là. Mais comment fait ce mince jeune homme à l’air enténébré, aux longues mains fines, pour soutenir le rythme effréné des engagements mondiaux ? Il dit parvenir à se réserver de longues plages de temps libre et écouter énormément d’opéra.

Parmi ses aînés, David Fray, à quarante-trois ans, partage avec Alexandre cet air romantique des artistes habités par la musique. « Mieux qu’au dessus du lot, à part ! » avait écrit le prolixe André Tubeuf à son sujet. N’ayant pas eu de papa Kantorow comme mentor, il s’est trouvé des grands du piano pour l’accompagner dans son ascension, de Jacques Rouvier à Christian Ivaldi ou Claire Désert, Menahem Pressler ou Paul Badura-Skoda, sans oublier Pierre Boulez. Ses récitals avec notre illustre violoniste René Capuçon, notamment au Théâtre des Champs-Élysées, ont laissé leur marque sur des auditeurs saisis par leur complicité.

Mais autant Alexandre croule sous les engagements, autant David s’est toujours fait plutôt rare. « C’est un artiste que nous devons entendre davantage », avait proclamé le New York Times. Raison de plus pour aller l’entendre les 12 et 13 mars prochains à la Seine musicale, sur l’île boulonnaise. La maîtresse des lieux Laurence Equilbey l’accompagnera avec son ensemble sur instruments anciens Insula Orchestra dans le concerto pour piano signé Émilie Mayer. L’exigeant David s’est laissé convaincre de participer à la résurrection de cette contemporaine de Schubert et Schumann.

Lise Bloch-Morhange

Website Alexandre Kantorow
La Seine musicale, 12 et 13 mars 2025, 20 h, Mayer Concerto pour piano, Schubert Symphonie n°9 « La Grande »
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5 réponses à Transmission

  1. Philippe PERSON dit :

    Il était hier sur France Inter dans l’émission de Vincent Jousse de 17h00, la « balade », qui doit pouvoir se réécouter…

  2. gege dit :

    Quel enthousiasme!! Pas de place pour un autre?

    • Lise Bloch-Morhange dit :

      En dehors d’Alexandre Kantorow et David Fray, j’en cite quand même sept autres…

  3. KRYS dit :

    Ecouter les pianistes Alexandre Kantorow et David Fray, c’est accéder au bonheur et au paradis terrestre.

    Merci Lise pour tous vos bons conseils.

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