Tricheurs au sommet

Dans le monde de la triche, l’honnêteté est un univers bizarre dont on ne peut que deviner l’existence, derrière un miroir sans tain. Les gens honnêtes mais cupides constituent une matière de choix pour les arnaqueurs. Ils sont trois: Roy, Myra et Lilly. Le premier est interprété par John Cusack, la seconde par Annette Bening et la troisième par Anjelica Huston. Cette dernière est impériale dans « The grifters » ce film sorti en 1990 et qui revient enfin sur les écrans, après des années d’absence. Arte a eu la bonne idée de le programmer pour les 3, 6 et 14 mars. C’est une pépite à ne pas rater et il est même recommandé de le regarder plusieurs fois, tellement ce long métrage tiré d’un roman de Jim Thomson frise le sans-faute. Rien que du beau linge en outre puisqu’il est notamment produit par Scorcese et surtout réalisé par Stephen Frears. Une œuvre qui hantait la mémoire de ceux qui l’avaient vu à la sortie, guettant par la suite son apparition dans les bacs à DVD ou sur les plateformes de streaming. Arte a la main  lourde en ce moment en bons produits d’évasion et Dieu sait que les idées d’échappée nous taraudent.

Même le générique d’ouverture est bossé seconde après seconde. D’emblée il introduit une tension qui ne nous quittera qu’après cent minutes de projection. On y entend un piano inquiet et rapidement, Frears introduit un, puis deux, puis trois des personnages principaux. Le tout à Los Angeles, cette ville où les embuscades du destin sont au-dessus de la moyenne des grandes cités, surtout en matière de criminalité.

Nous avons ici affaire à trois arnaqueurs. Lilly (Anjelica Huston), fait artificiellement baisser la cote des chevaux sur les champs de course pour le compte d’un truand (Pat Hingle), qu’elle vole au passage. Roy (John Cusack), est également un arnaqueur professionnel à qui on a appris qu’avec de petites entourloupes on ne risque pas la prison. Et enfin Myra (Annette Bening), laquelle préfère les embrouilles à grande échelle mais qui rate parfois les barreaux.

Ils sont parfaitement malsains avec à peu près rien pour gagner l’indulgence d’un jury de bonne famille. Et c’est cette absence d’hygiène mentale qui rend ce film si jouissif. Il se trouve par-dessus le marché que Lilly est aussi la mère de Roy qu’elle a eu très jeune. Lorsqu’elle est découverte par son boss, dénoncée par Myra, elle doit s’enfuir très vite. Mais sans argent, elle doit solliciter Roy, qui refuse. Son regard change alors, mi-fauve, mi-ange, mi-vipère, elle propose ni plus ni moins à son fils un échange incestueux, toxique en diable. Si tentateur qu’on le voit commencer à flancher, juste avant qu’il ne meure.

Ce film est en pleine zone grise, voire rouge, on l’aura compris et les personnages dépeints par Jim Thomson puis transposés (parfaitement) à l’écran par Frears, n’ont aucune moralité. D’ailleurs Myra n’est pas en reste. Consciente de son sex-appeal, elle le marchande, en partant du principe qu’elle ne « donne jamais plus qu’elle ne reçoit ». Si elle le fait avec son propriétaire, en retour elle ne paie pas son loyer. Roy s’en tire un peu mieux sauf qu’il est la proie (facile) des deux, lesquelles se disputent jalousement ses faveurs. Lilly et Myra se livrent ici à un concours de férocité. L’objectif est toujours le même, c’est l’argent que l’on pique, pas celui que l’on reçoit en salaire. Les moyens sont sans règles du moment que l’on obtient ce que l’on veut.

« The grifters » vaut pour une ambiance exceptionnelle, sans fuite, sans petite faiblesse qui consisterait à livrer au moins un bon côté des choses, afin de nourrir le mythe du bandit au grand cœur. Alors tant qu’à le faire autant y aller à fond et Stephen Frears ne s’en est pas privé, ne lâchant jamais un fil directeur, tendu comme la corde de l’arc. Le tout est tourné avec cette lumière particulière à la Californie, lumière qui tout à la fois détraque les chromes, les pâlit, les rehausse, contribuant ainsi à une proposition globale génialement trompeuse.

Les trois acteurs, de même que les seconds rôles dont Pat Hingle, sont tous à la hauteur, signe qu’ils ont été dirigés mieux que correctement, suivant des indications clairement énoncées. Certes, « The grifters » est dépourvu de bonnes intentions, mais c’est en l’occurrence ce qu’on lui demande. Et nous voilà admirablement servis. PHB

Sur Arte, le 03.03.2025 à 22h45, le 06.03 à 13h35  et le 14.03 à 0h40
Source image: Arte/© ARD/Degeto 2025
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