Les 90 ans d’un palais municipal

Première idée formidable: célébrer les 90 ans de l’Hôtel de Ville de Boulogne-Billancourt, chef d’œuvre architectural des années 30. Deuxième idée formidable: organiser une exposition dans la nef du bâtiment, le hall des guichets, cathédrale de lumière aux coursives d’acier éclairée par une verrière, haute de 22 mètres et longue de 65 mètres. Autant dire que le maire Pierre-Christophe Baguet (depuis le 21 mars 2008) ne s’est pas fait prier lorsque le service des archives lui a fait cette suggestion. Dès le début de l’exposition, on découvre d’étonnantes « plaques photographiques » datant de 1931 à 1944, affichées sur un panneau bleu sous le titre « Les Boulonnais dans les années 30 ». Les visiteurs boulonnais s’agglutinent à cet endroit, observant avec tendresse les photos des rues pouilleuses, déchiffrant sous leurs pieds une gigantesque vue aérienne de leur ville à l’époque. Des clichés témoignent de l’obsession hygiéniste de l’époque: « École de plein air: couture » nous montre une quinzaine de jeunes filles en short affairées à leur ouvrage, sagement assises sur des chaises en demi-cercle devant des arbres. « Gymnastique à l’école de plein air » nous offre cette fois une réjouissante série d’écoliers en short alignés sur plusieurs rangs dans une cour, tendant les bras à l’image de leur professeur en costume deux pièces sombre (sic).

Ce qui nous met dans l’ambiance pour découvrir la grande aventure, tel un parcours à la Tintin, de l’édification de l’hôtel de ville sous la mandature du maire André Morizet, réélu lors des élections de mai 1925. Dès juillet, l’édile envoie une délégation de conseillers municipaux (avec le maire de Suresnes Henri Sellier), étudier les réalisations des municipalités du Parti Ouvrier Belge venant de remporter les élections législatives. La délégation tombe en arrêt devant la nouvelle mairie de Schaerbeek, au nord-est de Bruxelles. Non pas devant sa majestueuse façade néo-renaissance flamande édifiée par un élève de Viollet-le-Duc, mais face au « grand hall d’allure monumentale » des guichets.
Ces messieurs sont éblouis par « la claire séparation des fonctions de la façon la plus rationnelle, suivant les affaires et les matières à traiter ». Car dans une mairie on fait de tout, des démarches administratives comme des conseils municipaux, des mariages et des réceptions. Il faut bien regarder la photo du hall monumental de Schaerbeek, au parfum renaissance italienne débordant de couleurs, pour mesurer le bond avant-gardiste qui s’apprête à Boulogne.

Nouvelle visite des conseillers municipaux cette fois à Lyon, car André Morizet est un grand admirateur de Tony Garnier, seul architecte français ayant parsemé une grande ville de ses monuments, auteur en 1904 de « La Cité industrielle », une utopie urbanistique en avance sur le Bauhaus. Dès le 8 décembre 1925, le maire écrit à l’architecte qu’ayant balayé l’idée de concours, c’est lui qu’il veut et sollicite. À ce stade de sa vie et de ses réalisations, le créateur lyonnais est tenté par l’expérience. L’inauguration aura lieu le 15 décembre 1934, et nous allons suivre toutes les étapes de ces dix années: choix du terrain sur une zone déshéritée, une ancienne carrière de deux hectares non loin de la place Marcel Sembat, à un endroit symbolisant l’union de Boulogne et de Billancourt; onze avant-projets successifs, projet définitif arrêté en 1930.

En 1928, le beau-frère d’André Morizet, l’architecte Debat-Ponsan, entre en jeu comme « architecte d’exécution ». C’est à ce moment-là que le beffroi couronnant initialement l’édifice est abandonné… pour se retrouver aujourd’hui dans l’exposition, sa photo en trompe l’œil dominant le hall de toute sa hauteur. Un clin d’œil quelque peu surréaliste…

Bien lire les panneaux suivants pour saisir le cœur même de l’ouvrage: deux bâtiments accolés, en avant façade monumentale aux lignes purement géométriques ornée d’un perron à porche, vitres géométriques et balustrade inspirée de celle du palais Farnèse à Rome. À l’arrière, bâtiment administratif. Si les deux éléments possèdent une structure en béton armé, la façade côté « palais » est recouverte de pierre blanche de Comblanchien, celle de l’arrière de pur béton armé bouchardé scintillant, chéri des architectes de l’époque.
Plus loin, dans le hall de lumière et d’acier brossé, sont exposés les meubles et luminaires des créateurs aujourd’hui célèbres ayant concouru pour le mobilier: armes de la Ville par les frères Martel, banquettes en bois et cuir de René Herbst, cache-radiateur en aluminium chromé signé Jean Prouvé, etc. (collections du Musée des Années 30 voisin). Le nom de tous ces créateurs des années 30 sont illustres aujourd’hui, tout comme ceux qui firent du nord de Boulogne, dans les années 30, un champ d’expérimentation de l’architecture moderne, Mallet-Stevens en tête. Il serait temps que Tony Garnier, pas assez connu, rejoigne leur célèbre cohorte.

Comme l’a écrit Emmanuel Bréon, ancien conservateur du Musée des Années 30 boulonnais: « L’hôtel de ville est un chef d’œuvre absolu qui mérite à lui seul le déplacement. » N’est-il pas le « symbole d’une ville chic et populaire à la fois » ?  Ce qu’illustre l’exposition en cours.

Lise Bloch-Morhange

Exposition « Hôtel de Ville -90 ans- Notre histoire commune « , Hôtel de Ville, Boulogne-Billancourt, jusqu’au 12 avril 2025. Entrée gratuite
Source photos: mairie de Boulogne-Billancourt

 

 

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5 réponses à Les 90 ans d’un palais municipal

  1. KRYS dit :

    Merci beaucoup Lise pour cette appétissante invitation-anniversaire à l’hôtel-de-ville musée de Boulogne-Billancourt. Exposition sur le « génie » du lieu, mémoire de la mémoire, qui devrait intéresser plus d’un visiteur.

  2. jacques weiss dit :

    Merci, Lise, j’ignorais l’événement ; j ‘y cours, votre articleà la main pour me servir de guide .
    jacques Weiss

  3. catherine Chini Germain dit :

    Merci Lise, article très documenté comme toujours! j’ai beaucoup appris.

Les commentaires sont fermés.