La poésie qui vient avec le vent

Quand Antoine de Caunes interrogea Bob Dylan sur sa popularité auprès des Français, le chanteur-poète répondit à côté mais resta cohérent sur le strict plan géographique. En affirmant qu’à ses débuts, il s’était très vite intéressé aux poètes français, « Apollinaire, Rimbaud, ces types-là ». Sans doute en raison de la sortie très récente d’un film autour du folk-rock-singer américain, l’INA, toujours prêt à dégainer ses archives, vient de publier cette interview dans laquelle  Dylan fait référence à la poésie française. L’entretien a eu lieu en 1984 sur Antenne 2 dans un programme intitulé « Houba Houba ». Bob Dylan (1941-) y apparaît comme un quadragénaire assez beau et se sentant à l’évidence assez libre de répondre comme il l’entend. L’interviewer est bon, Dylan étant Dylan par ailleurs, cette archive est plaisante à visionner (1). Et pas seulement parce que le nom de deux auteurs majeurs comme Apollinaire et Rimbaud sortent de la bouche du grand homme. Qui s’essaie à la modestie avec une voix sonore comme celle d’un oracle grand fumeur.

Si tant est que ce soit possible le personnage semble réunir sur son visage une ambivalence mi-ange mi-démon. Ce n’est pas le type du coin de la rue. En 1984, c’est même une célébrité internationale, pas encore affublée d’un prix Nobel (honneur démonétisé depuis si longtemps). Une star attentive à ne pas s’enliser dans la chanson engagée, doucereuse et à la longue un brin casse-pieds. Avec le rock, il deviendra moins aimable, ses paroles seront davantage râpeuses et il ne s’en portera que mieux. Cette posture de génie un peu mal embouché n’en donnera que plus d’attrait, par effet de contraste, à certaines merveilles comme « Lay lady lay », son disque sorti en 1969. Un titre qui n’a pas fini de nous happer par surprise, de nous éclairer d’un vague à l’âme azuréen.

Antoine de Caunes lui demande si ce n’est pas compliqué d’avoir la réputation d’un génie. En l’occurrence Dylan lui répond que oui cela devient compliqué, quand on commence à le croire. Quand on commence à se dire « comment dois-je commencer à me comporter maintenant »? Mais dit-il enfin, il n’y a jamais cru. S’est-il employé à en chasser la tentation, c’est probable. Ou encore quelques vrais amis s’étaient-ils appliqués à faire en sorte qu’il puisse garder les pieds sur la terre ferme. Finalement la seule chose qu’il confirme, c’est que s’il n’écrivait pas tous les jours, il deviendrait fou.

En tout cas, il est intéressant de se pencher ou de se re-pencher sur ses textes en conformité avec ses influences, sa volonté de ne pas se faire attraper et sa capacité à éviter la niaiserie, ce terrible défaut souvent à base d’amour et qui détruit toute poésie avec une ténacité de termite.

Un écueil ne touchant certes pas « Subterranean Homesick Blues », ce titre sorti en 1965, qui fascinera plus tard un certain John Lennon. Un texte qui combine des allusions à certaines choses comme la drogue, tout en livrant quelques indications à une jeunesse toujours assoiffée d’indicateurs. Dylan y invite son public à ne pas se laisser guider par quiconque, en chantant en substance que l’on n’a pas pas besoin d’un « Monsieur Météo » pour savoir d’où vient le vent (« You don’t need a weatherman to know which way the wind blows »). Et de conseiller surtout: « Don’t follow leaders/Ne suis pas les leaders/Watch the parkin’meters/Surveille les parcmètres », voilà une phrase que n’aurait certes pas reniée Apollinaire. Lui qui contribua notamment à émanciper la poésie avec « Zone ».

« Subterranean Homesick Blues » avait fait à sa sortie l’objet, de ce qu’il conviendra de qualifier plus tard, de clip promotionnel (2). On y voit Dylan dans une ruelle de Londres à l’arrière d’un grand hôtel, tenant puis dispersant des panneaux comportant des bouts de textes de sa chanson. Il parait que certaines des pancartes avaient été réalisées par d’autres références de cette époque comme Donovan (1946-) ou encore Allen Ginsberg (1926-1997).

En 1962, Bob Dylan avait écrit (en seulement dix minutes selon lui), « Blowin’ in the Wind », titre qui en disait déjà long sur le potentiel de l’artiste en devenir. Dans cette ode à la liberté, à la paix, il proclame que la réponse aux questions vient avec le vent. Et commentera-t-il plus tard, la même réponse ne stationne pas, elle repart. Si on ne la saisit pas à temps. La poésie elle aussi, vient avec le vent.

PHB

(1) L’interview de Dylan à la télévision française
(2) Le clip de « Subterranean Homesick Blues »

 

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2 réponses à La poésie qui vient avec le vent

  1. Gilles Bridier dit :

    Il y a le Dylan jusqu’à la fin des années 70, et puis l’autre. Et il y a le Dylan qui répond aux interviews par « je sais pas ». Un fossé avec le Dylan du début, lorsqu’il chantait comme Pete Seeger.

  2. jmc dit :

    Dans le match Dylan/Cohen, glissons un petit mot en faveur du second. Un parti pris né ces mêmes années 80, pour avoir entendu dans un documentaire Leonard Cohen parler – magnifiquement – de Baudelaire et de poésie française. Savez-vous que c’est l’attribution du prix Nobel de littérature au surestimé Bob qui a achevé Leonard Cohen ?

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