On connaît le piano à quatre mains, mais un peu moins le livre à quatre mains. En voici un intitulé « 1944- La Charente limousine se libère », tout juste sorti avant la fin de l’année dernière, pour célébrer les quatre-vingts ans de la Résistance locale. Sur la couverture de cet ouvrage de quatre cent pages, figurent deux noms, Benoît Savy et José Délias. Le dernier est né à Confolens en 1953, le premier suivra son exemple en 1975. La même différence d’âge s’applique aux deux autres contributeurs, Céline Déveza (1983) et Joël Giraud (1953). Tous ces enfants du pays se distinguent par un amour viscéral de la région. Ainsi José Délias, ancien agent d’entretien du collège de Chabanais, s’est improvisé historien local, signant une trentaine d’ouvrages et de contributions, tandis que son partenaire Joël faisait de même pour la gloire des Confolentais durant la seconde guerre mondiale. Le troisième larron Benoît, docteur en géographie physique, s’est attaché à « une mise à distance des témoignages directs ou indirects recueillis sur la période ». (les témoignages étant souvent plus que suspects.) Quant à Céline, la petite dernière, elle est cheffe de projet du Pays d’Art et d’Histoire du confolentais,
Amoureuse de leur région, toutes générations confondues, la « bande des quatre » possède un sens aigu de son identité: la Charente limousine se situe à l’extrême nord-est de la Charente (capitale Angoulême), bordée par la Haute-Vienne à droite. Confolens au nord est à cinquante-cinq kilomètres de Limoges, Chabanais au sud à quarante-cinq kilomètres. Élément fondamental pour la période, la Vienne, venue de Corrèze (plateau de Millevaches), traverse la région du nord au sud, puis fait un coude à droite près de Chabanais jusqu’à Limoges. Le but des auteurs est de reconstituer les événements heure par heure, habitant par habitant, résistant par résistant, rue par rue, bosquet par bosquet. Un travail de fourmi et d’hommage à quatre mains, rendu possible par l’ouverture d’archives publiques en 2015.
Dès le début, José Délias nous plonge sans préambule dans les journées des 31 mai et 1er juin, lors du « premier coup d’éclat du maquis F.T.P avec l’occupation de Chabanais » (les maquis F.T.P d’obédience communiste datent de 1941). N’oublions pas que nous sommes quelques jours avant le débarquement allié en Normandie du 7 juin, attendu frénétiquement depuis un an par les résistants. Les F.T.P du maquis de Pressignac, commandés par André Bailly alias « Marc Baulieu », avec ceux du commandant « Rémy », venus des alentours, bloquent les issues de Chabanais. « Leur but: s’emparer de l’adjudant de gendarmerie Pierre-Léon COMBAS qui avait arrêté quatre patriotes qui furent remis à la Gestapo. » Le gendarme est aussi accusé d’avoir monté la garde auprès du Halifax, avion anglais échoué tout près dans la nuit du 9 au 10 mai. Suit le détail de l’odyssée des quatre officiers de la Royal Canadian Air force et des trois sous-officiers de la Royal Air Force, qui ont tous pu sauter en parachute dans la forêt de Rochechouart.
Viennent ensuite les péripéties de l’attaque surprise de la gendarmerie par les maquisards, leur ravitaillement en essence et chaussures auprès des habitants. Le maquis se repliera vers midi, et fusillera le soir dans la forêt de Rochechouart le chef de gendarmerie ainsi que trois allemands prisonniers. Le soir du 31 mai, un détachement du maquis « Rémy » se rend à la métairie de Chassat, et attaque la maison du chef milicien Paul de Grandmaison. L’homme s’enfuit dans un champ de blé avec ses deux fils, mais sa photo nous attend, publiée en pleine page (page 28). C’est un des points forts du livre que de consacrer une centaine de pages, à partir de la page 280, sous la signature de Benoit Savy, au recensement des miliciens notoires qu’on a l’habitude d’ignorer. À l’opposé, certaines figures féminines comme Jeanne Stivil et Juliette Cramer sont mises en valeur pour la première fois.
Après le débarquement allié du 7 juin, les choses vont se corser dans la région, les combattants se heurtant aux exactions des troupes allemandes remontant du Sud-Ouest vers la Normandie (dont la terrible division Das Reich). Les Allemands envahissent Chabanais et les combats durent toute la journée du 1er août. L’envahisseur parvient à franchir la Vienne, marquant sa progression en pillant et incendiant tout sur leur passage. Il finira par se replier sous les coups du maquis « Bernard ». Le maquis « Bernard » s’est senti bien seul au cours de la journée, et Joël Giraud reviendra plus loin (page 161 et autres) sur ce groupe F.T.P installé au château de Pressac sous la conduite de Bernard Le Lay. Les effectifs atteindront 2000 combattants participant à la libération de Limoges, les 21 et 22 août 44, sous la conduite de Georges Guingouin, héros du maquis limousin.
Outre « le commandant Bernard », on découvre d’autres grandes figures des maquis locaux peu connues, comme « Jacques Blanqui » du maquis Bir’Hacheim voisin, ou le commandant Maurice Gary du maquis Foch confolentais d’obédience FFI. Redonner sa place à chacune et chacun, quelle ambition à quatre-vingts ans de distance…
Lise Bloch-Morhange
Très intéressant, j’ajoute deux détails géographiques :
la proximité d’Oradour mérite d’être citée comme repère.
La Vienne qui coule du nord au sud… ou du sud au nord, en suivant son petit bonhomme de chemin de rivière.
Effectivement la division Das Reich, après avoir notamment pendu 99 civils aux reverbères à Tulle le 9 juin, est arrivée le lendemain à Oradour-sur-Glane, village situé à 27 km à l’est de Chabanais. Elle y a perpétré un massacre resté dans les annales.
Merci Lise pour ce bel article. Un vrai travail sérieux à quatre « historiens » qui propose des approches inédites sur des aspects jusque là négligés pour l’histoire régionale. C’est tout en ton honneur (pour une raison d’éthique) de ne pas avoir souligné la participation de ton papa Jacques Bloch-Morhange, que José Délias traite p. 76-79, qui a participé, comme chef des Transmissions, à la bataille de Chabanais…et la Libération de Limoges aux côtés de Guingouin. Un livre qui va devenir une « référence…