Raconter le monde

Celle qui a passé une bonne partie de sa vie à raconter le monde a choisi de passer de l’autre côté de la caméra ou plutôt de passer de l’écran au livre. Maryse Burgot appartient au club très fermé des femmes reporters de guerre ou encore de celles qui veulent tout: un métier fait de voyages et d’aventures et aussi la famille et les enfants. Elles ont surtout accepté de côtoyer le danger et la mort et assument pratiquer un métier dangereux comme en témoignent certaines de leurs mésaventures: la tentative de viol de Mouammar Kadhafi sur Mémona Hintermann en 1984 ou la blessure de Patricia Allémoniere en Afghanistan. Maryse Burgot, elle, a vécu 2 mois de captivité dans la jungle de Jolo aux Philippines en juillet et août 2000 aux mains du groupe séparatiste musulman Abu Sayyaf, considéré à l’époque comme un des mouvements terroristes et mafieux les plus violents au monde. De sa captivité à Jolo elle dit: « Une seule fois dans ma vie j’ai connu le désespoir et c’était à Jolo. Les conditions de détention ne changent rien au puits de détresse dans lequel je m’enfonce psychologiquement au fil des jours ».

Après cette épreuve qu’elle a vécu comme une humiliation, elle prend un mois de congés, refuse le suivi psychologique proposé par son employeur, demande à ne pas être traitée comme une ex-otage et manifeste sa volonté de repartir. Elle a gagné sur ses ravisseurs car elle ne les a pas laissé la briser. Elle continue son métier.

Un métier ou plutôt une vocation, révélée après un voyage fondateur en Inde en 1994: d’aucuns font le voyage en Inde pour un stage de yoga ou pour une retraite spirituelle dans un ashram. Pour Maryse Burgot il s’agissait de réaliser des reportages sur l’épidémie de peste qui sévissait au Nord de Bombay. Ce sera aussi l’occasion d’une rencontre lumineuse avec trois missionnaires de la congrégation des sœurs salésiennes pour un reportage appelé « Les aventurières de Dieu ».

Maryse a donc choisi ce que sera sa vie: « Je suis comme une enfant avec le monde entier pour horizon. » Un travail avec une  équipe de deux personnes, un « JRI » journaliste reporter d’images et un « fixeur », responsable sur place des contacts et de l’organisation, un métier qui la mènera sur les principales scènes de guerre ou de conflit, faisant de son livre un témoignage et une démonstration de géopolitique.

Ce texte évoque aussi « le syndrome de l’imposteur », qui accompagne la réussite de cette fille de paysans bretons: « Je suis une évadée de mon milieu d’origine. » Et si elle revendique ses origines terriennes, elle reconnaît avoir eu des difficultés à assumer ce déterminisme social qui rend la confiance en soi compliquée. « Ce sentiment d’être entré par effraction dans le cénacle des rédactions parisiennes, explique-t-elle avant de conclure: « Je n’aurai jamais l’assurance des gens bien nés. » Elle nous détaille le « poisseux sentiment d’imposture lié à mon lieu de naissance, de l’intranquillité permanente, du manque de nonchalance et d’insouciance caractéristique » de ceux « qui n’ont pas grandi dans un milieu privilégié ». Les personnes ayant vécu en province ou dans un désert culturel se reconnaîtront. Et ce livre est sans aucun doute là pour leur signifier que tout est possible malgré tout.

Ce récit nous dit aussi beaucoup de sa détermination et de son opiniâtreté, elle qui partait avec un handicap important: celui de sa voix jugée trop aigüe pour une carrière dans l’audiovisuel. Avec un travail fait de séances d’orthophonie, elle a appris à la poser et maintenant sa voix est devenue pour elle un véritable atout et sa marque de fabrique.

Elle évoque aussi le grand écart entre la vie sur le terrain et le retour chez soi. Comme Dorothée Ollieric avec « Maman s’en va-t-en guerre » (1), il n’est justement pas question de ramener la guerre  à la maison. Elles s’attachent à ne raconter que les belles histoires ou les belles rencontres. Et chacune a sa recette pour gérer le retour chez soi. Pour Maryse c’est le grand ménage dans la maison, le jardin et un retour aux gestes de la vie quotidienne qui lui sert d’antidote au risque de stress post traumatique.

Et pourquoi toujours repartir ? Sans doute cela tient-il au fait que, loin de chez soi, dans les pays en guerre au cœur de l’action, on a cette sensation de vivre plus intensément et on ressent le courage et la solidarité de façon exacerbée, arrivant à un état unique de dépassement de soi et d’ouverture au monde.

Marie-Pierre Sensey

« Loin de chez moi » Maryse Burgot Éditions Fayard 20,90 euros
(1) « Maman s’en va-t-en guerre » Éditions du Rocher

 

 

 

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2 réponses à Raconter le monde

  1. Sylvie Cerf dit :

    Merci pour cette belle note de lecture qui donne envie de découvrir le récit de cette femme engagée.

  2. Annie T dit :

    Version édulcorée du récit de la difficulté du métier, surtout pour une femme (mais pas seulement)
    « la tentative de viol de Mouammar Kadhafi sur Mémona Hintermann en 1984 ou la blessure de Patricia Allémoniere en Afghanistan »
    à côtés de ces déboires ne convient-il pas d’ajouter, si on n’en parle pas en priorité, l’assassinat de Shireen Abu Akleh par l’armée israelienne ? (2022)

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