Le bleu Hakka, l’indigo local de Hong Kong, vit une seconde jeunesse sous l’impulsion du jeune Maître of Dye (Maître de la Teinture), Eric Cheung Chun-Lam, fondateur de Dyelicious. C’est dans son studio, au Jockey Club Creative Arts Centre (JCCAC) de Shek Kip Mei (New Kowloon), que le travail des pigments issus de la fermentation (dans l’eau) des feuilles d’indigotier, tombé en désuétude durant le règne du synthétique, retrouve ses lettres de noblesse. À l’intérieur de ce grand espace aéré, éclairé harmonieusement par la lumière du soleil, filtrée par le feuillage des banians, les artisans qui partagent la passion d’Eric Lam s’activent. Leurs mains bleuies par la teinture témoignent d’un labeur sans relâche. Dès sa création en 2012, Dyelicious, société soucieuse de l’environnement, a mis un point d’honneur à promouvoir le remplacement des produits chimiques industriels par l’utilisation de colorants naturels. Composée à ce jour de 6 personnes à temps plein, elle élabore, teste et enseigne avec ardeur de nouvelles méthodes de teinture dédiées à l’art et à l’éco-impression. Ce projet ambitieux de perfectionner d’anciennes pratiques de coloration naturelle, grâce à la science et à des séries de d’expérimentations, a le vent en poupe.
Chaque année, Dyelicious conquiert le cœur de plus en plus d’aficionados, accueillis chaleureusement dans ses locaux. Elle séduit des artistes du monde entier, à Taïwan, en Corée du Sud, au Japon, au Royaume Uni, en Italie, etc. Dépassant le stade de la simple curiosité, ceux qui désirent apprendre les techniques modernes d’application de l’indigo hongkongaise sont de plus en plus nombreux.
C’est en 2016 qu’Éric Lam, « ingénieur et chimiste avant d’être artiste » comme il se définit lui-même, a initié les premières recherches sur la culture locale de l’indigo, celle développée, jadis, par les Hakkas. Cette ethnie chinoise issue des Han, installée au Port au Parfum depuis le 17e siècle, s’était principalement investie dans l’agriculture et le négoce des matières premières. À partir des années 60, en phase avec la montée en puissance de l’industrialisation, cette population a modifié son mode de vie, abandonnant sa coutume de teinter au bleu naturellement.
Véritable retour aux sources, les premières investigations du fondateur de Dyelicious, ont porté autant sur les pratiques agricoles que sur celles d’extraction et de conception des pigments. Ces études des techniques traditionnelles de teinture développées par les Hakkas de Hong Kong se poursuivent encore, menées par l’académie ad hoc de Dyelicious, la Dyelicious Academy. Riche d’enseignements, cette immersion dans les anciens savoir-faire locaux a ouvert de nouveaux horizons au Maître of Dye. Son champ artistique s’en est trouvé démultiplié comme le décrit Eric Lam: « La teinture obtenue à partir de l’indigotier de Hong Kong permet de créer une palette de nuances de bleu élargie. Les tons produits se différencient nettement de ceux venant des autres espèces, indienne, japonaise, ou taïwanaise. » Les bleus Hakka, intenses et lumineux, peuvent revêtir une couleur tendre et douce.
L’espèce à l’origine de ces teintes typiques est l’herbacée Strobilanthes cusia, appelée aussi Assam Indigo. « Nous ne savons pas si elle a été importée par les Hakkas dans la région ou si elle y poussait déjà », s’interroge Éric Lam. Plante vivace qui affectionne l’ombre des montagnes, les rivières et le climat tropical, l’Assam Indigo peut se récolter deux à trois fois par an, en mai, en août ou fin octobre. « Le meilleur moment pour les cueillir demeure l’été. Une fois que la température descend au-dessous des 15 degrés, en décembre, les plantes fleurissent puis les couleurs s’estompent », détaille l’artiste chercheur qui participe activement à la relance de cette culture: « Plusieurs fermes locales situées dans les Nouveaux Territoires sont nos partenaires. Sans leur existence, le bleu Hakka disparaîtrait à tout jamais. »
Pour l’heure, le bleu de Hong Kong rayonne grâce à la participation de Dyelicious à des expositions locales, tel Art Basel, et internationales. Justement, le Maître of Dye vient de remporter la médaille de bronze -en qualité de candidat étranger le plus haut classé- de la 19e édition coréenne de la compétition « Natural Dyeing Product » (Produit de teinture naturelle), sur le thème « Coexistence of humanity and nature – a journey of memories ». Son ombrelle aux motifs indigo décrivant magnifiquement divers quartiers de Hong Kong a conquis le jury.
Le talent d’Eric Chan n’a pas fini d’émerveiller. Son exploration du monde bleu ne fait que commencer: « Le projet de révéler le bleu Hakka naturel est celui de toute ma vie » affirme-t-il. Et d’ajouter: « Pour créer son originalité, il faut être tenace, se concentrer, ne pas abandonner au moindre obstacle. Il faut redoubler d’effort tout en acceptant que les choses prennent du temps. » À l’image des grands maîtres japonais qui s’adonnent à leur art toute leur vie durant, avec de surcroît l’habitude de transmettre leurs techniques artisanales de génération en génération. « Il faut sans cesse perfectionner les techniques ancestrales, tout en les adaptant à l’époque moderne » conclut le futur grand Maître of Dye.
Edwige Murguet depuis Hong Kong