Porter le chapeau façon Stephen Jones

Aux chapeliers, les couvre-chefs  allant du Trilby au Borsalino et aux modistes, la liberté de créer les objets les plus fous dont la moindre caractéristique n’est pas de protéger des intempéries. Dans ce domaine particulier de la mode des défilés, l’exubérance, l’extravagance, la débauche et même la décadence comptent parmi les attributs faits pour éblouir. L’exposition du styliste Stephen Jones au musée Galliera, tient en ce sens toutes ses promesses, avec une scénographie allant crescendo, vers des éblouissements. Surtout quand le chapeau en question s’accorde avec la marque d’un grand couturier comme ci-contre via ce mannequin christique qui cueille le visiteur au détour. Sur ce modèle destiné à un défilé de prêt-à-porter automne-hiver 85-85, intégrant une collection de Thierry Mugler joliment intitulée « Hiver des anges », la coiffe fait comme un soleil cristallin. On hésite à vrai dire entre l’ange et la fée mais, ce type de doute frisson inclus, ne s’éprouve pas tous les jours. Une notice précise que Stephen Jones avait fait la connaissance de Mugler l’année précédente, dans une cabine d’essayage « tapissée de croquis » où l’avait introduit une certaine Dauphine de Jerphanion, tant rien n’est normal au pays de la mode. Et l’on s’en félicite.

Il est ici question d’œuvres d’art et franchement cette dénomination n’est pas usurpée, y compris quelques réalisations évoquant clairement des sexes masculins, dans un style à la fois burlesque et fantasmagorique que n’aurait pas renié Keith Haring. Pas de censure dans les couloirs du palais, c’est la liberté créative qui s’en donne à cœur joie, tel le chapeau « Sewing », surmonté d’une bobine de fil bleu et qui, on s’en doute, confère à ceux qui la porteraient une assurance déconcertante.

Il nous est expliqué que ce Jones dont le profane ignorait encore tout quelques instants avant d’entrer, a travaillé avec les plus grandes maisons (Givenchy, Vuitton, Schiaparelli, Comme des garçons, Dior…) et que les meilleurs stylistes ont voulu travailler avec lui comme John Galliano ou Jean-Paul Gaultier. Ce n’est pas tout de faire une robe ou un tailleur pantalon, faut-il encore couvrir la tête de quelque chose qui se tient, parfois à l’aide de paille dressée à la vapeur. Le milieu de la mode a certainement ses travers, mais pour ce que l’on en voit, hors coulisses, soit cette esthétique exubérante, cette inventivité spatiale, ce légendaire mépris du top-modèle toisant de son regard las les spectateurs depuis sa taille anormale, nous spectateurs ne profitons que du bon, avec un vice assumé et ravi.

Les amateurs d’art seront indéniablement servis et aussi, bizarrement, les habitués du musée du Quai Branly, davantage tournés vers les civilisations et la marque de leur évolution. Car les créations auxquelles nous avons affaire, qu’il s’agisse des vêtements ou des chapeaux, puisent à l’évidence dans une forme d’ésotérisme propre aux représentations païennes des dieux africains ou asiatiques, des intercesseurs de l’invisible. L’éclairage très travaillé de la scénographie fait que certains modèles ont l’air de sortir de l’ombre comme un personnage de rêve ou de cauchemar, comme cette création (sauf erreur de Jean-Paul Gaultier) greffée de coussins, le tout en vert serpent, et coiffé d’un chapeau extra-terrestre à la Moebius. Une réussite qui nous laisse cois, tant nous sommes loin, bien loin, du prêt-à-porter.

Parmi les ensembles à ne pas rater il y a ce tailleur-jupe rose et noir (Comme des garçons) avec une paire de gants sur la poitrine et un chapeau façon montero (la coiffe du torero à pied). La sensualité qui s’en dégage fige le pas du visiteur ou de la visiteuse. Parmi les 400 œuvres et 170 chapeaux présentés, celui-là ne se laissera pas oublier et il a de surcroît cet insigne avantage d’être portable (ou presque). Visiblement on a fait confiance à Stephen Jones puisque la créatrice Rei Kawabuko attendait de lui, surtout de la « surprise » , du non prévisible et pas forcément en adéquation avec le vêtement. Ses instructions dit-il, sont toujours « abstraites et elliptiques ». Un coup de « Étonnez-moi Benoît », comme le chantait si bien Françoise Hardy.

En fin de parcours, la partie Schiaparelli n’est pas en reste sur la question de l’étrange et de l’audace. Deux mannequins topless y encadrent un troisième modèle merveilleusement habillé de mystère. L’une a des seins cubistes et même coniques, et l’autre est une figure au buste d’or, tout comme son masque surmonté d’un melon noir. La troisième, l’étrange, a le visage dissimulé derrière une sorte d’abat-jour inversé et que l’on suppose transparent. Stephen Jones se sent également à l’aise avec cette maison où, nous explique-t-on, il peut jouer pleinement avec ses « inspirations surréalistes », comprenant le genre et emblématique chapeau-chaussure.

Les couturiers et les grandes maisons ont bien raison de laisser jouer encore le jeune homme sexagénaire. La plupart du temps, nous sommes tantôt séduits, tantôt étonnés, tantôt amusés et quelquefois, on gagne les trois tickets d’un coup.

PHB

« Stephen Jones « Chapeaux d’artistes », Palais Galliera, jusqu’au 16 mars 2025
Photos: ©PHB

 

 

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