Le musée des Arts décoratifs propose une réflexion centrée sur « l’intime », sous-titrée « de la chambre aux réseaux sociaux ». L’exposition s’organise sur six thèmes: l’intime et l’habitation, l’intime sous son apparence, l’intime dans sa libido, l’intime exhibé, l’intime volé, et, finalement, l’intime ultime du chroniqueur de soi-même, le rédacteur de ses notes quotidiennes. L’intime, du latin intimus, concerne sa propre intériorité, et, par extension, ce que l’on cache aux autres, selon des règles de bonnes mœurs. Règles variables avec le temps et les circonstances. L’intime est ce qu’un intrus peut surprendre. L’intrus, celui qui pénètre quelque part sans y être désiré. Dans la quasi-totalité des sujets illustrés par un choix d’objets ou de représentations significatifs, un lieu géométrique, le corps, à la croisée de la pudeur et de l’indécence. Tout commence ici par un gigantesque trou de serrure, bordé du rouge de l’interdit. Pour le prix d’un billet, les organisateurs vont plonger le visiteur dans le voyeurisme. Ils l’emmènent « au cœur de nos jardins secrets….du XVIIIe siècle à aujourd’hui, dans le contexte occidental ». Ils révèlent comment cet intime s’est peu à peu transformé, en fonction des progrès de l’urbanisme, de l’hygiène, des moyens de communication ou de surveillance.
L’intime domestique se trouve initialement dicté par l’avènement des convenances bourgeoises. La « femme d’intérieur » en est la gérante, tandis que le chef de famille s’en va au dehors quérir de quoi assurer son pouvoir économique. Si, dans la société aristocratique, chaque époux avait ses appartements, apparaît le lit conjugal, endroit d’intimité partagée. Il passe de l’étroit lit clos breton au king size, de l’isolement à la promiscuité, du lieu de repos au lieu de vie. Pour les enfants, chambre commune, puis, la surface des nouvelles habitations le permettant, s’organisent la chambre de la jeune fille, celle de l’ado boutonneux, nécessairement en désordre.
Noyau dur de l’intime, sont les fonctions physiologiques d’excrétion. Très illustrative présentation d’urinoirs, de chaises percées, de sièges à lunette. Mention particulière pour le bourdaloue, en forme de saucière. Il tire son nom d’un prédicateur sévissant au Grand siècle. Ses prêches, d’une extravagante longueur, conduisaient les paroissiennes à soulager leur vessie au moyen de ce discret réceptacle glissé sous leur robe.
Activité intime, les ablutions. Le cabinet de toilette se fait le tabernacle des secrets féminins dans leurs trois étapes vers la beauté: la propreté, la parure, le parfum. La femme au bain demeure, pour le peintre, le moyen de proposer un nu qui ne sera pas licencieux. À ce sujet, une superbe toile de Tony Robert-Fleury, a été prêtée par le musée de Grenoble.
Deux salles ont été consacrées à l’intime et la libido. Avec cet habituel avertissement: « l’accès du jeune public à ces salles est déconseillé ». Pour en savoir davantage, ce jeune public ira donc vers son site porno habituel. Dans toute sa splendeur, figure ici le fauteuil Paon ou Sylvia Kristel scénarisait son intimité dans Emmanuelle, symbole de l’érotisme soft, l’un des gros succès du cinéma français. Le visiteur passe ensuite d’une série de tabatières obscènes à une non moins illustrative déclinaison de vibromasseurs. Les designers ont su remplacer l’antique godemichet, relativement monomorphe, par une étonnante variation de formes, susceptible de satisfaire toutes les curiosités.
Grâce aux nouvelles technologies, l’intime va pouvoir s’exhiber dans des proportions jusqu’alors inconnues. Mais les spécialistes en sciences humaines le constatent, la présence d’observateurs modifie toujours le comportement du sujet observé. L’intime des influenceuses s’avère par conséquent aussi factice que celui commercialisé dans les téléréalités. Les drones, les mini caméras, de plus en plus mini, permettent de surprendre, à son insu, l’intime d’autrui. Comble du sournois, un ourson en peluche est ainsi équipé, afin de contrôler le comportement de la baby sitter avec votre chère tête blonde. C’est le moment de souligner l’interdiction faite par le droit du travail à ce mode de surveillance, dès lors qu’il est clandestin. Et, n’en déplaise à Alain Souchon, on ne saurait filmer « sous les jupes des filles ».
Enfin, conversation avec soi-même, le journal intime. Encore comporte-t-il souvent le souci d’être dévoilé. Si la jeune Anaé entend garder par devers elle les pensées inscrites dans son carnet rose et blanc, en était il de même pour Paul Léautaud, auteur, durant 60 ans, des 18 tomes de son journal ?
Dans la profusion de meubles évoquant l’intime ainsi collectés, un manque: le berceau. Dans le vécu de ses premiers jours, rythmés par la triade « bouffe-chie-dort », le nouveau né vit pourtant dans la plénitude de l’intime.. Mais il n’a honte de rien…
Jean-Paul Demarez
« L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux », Musée des Arts décoratifs, 107 Rue de Rivoli, 75001 Paris/Du 15 octobre 2024 au 30 mars 2025
Photo d’ouverture: Anonyme, Bidet, XVIIIe siècle Chêne, cuir, faïence ©Jean-Paul Demarez
Merci pour votre remarquable article. Chapeau bas, si j’ose dire !
Sobriété et justesse de ton, et pourtant , quelque part, on entend jouer une petite note qui se voudrait plus coquine . Votre plume est d’une légèreté exquise .
Exposition à savourer sans modération, je peux vous l’assurer …