Au cachot le stylo-plume

Quand la porte de prison se referme et qu’il n’y a plus qu’à attendre au milieu de gens que l’on n’a pas choisis, il sonne intérieurement comme un glas tout vibrant de malveillance. Ayant à peine posé le pied sur le sol algérien, l’écrivain Boualem Sansal a été arrêté par la police et incarcéré dans la foulée, au motif d’atteinte à l’unité nationale. Le chef d’accusation est pour le moins baroque. Son spectre est bien trop large pour être honnête. S’il fallait en France, envoyer au ballon l’ensemble des écrivains se montrant ou s’étant montrés critiques envers l’État, ce serait tantôt midi. En tout cas, un pouvoir qui met en taule un écrivain pour subversion, jubile probablement à l’idée d’imposer à un intellectuel, de côtoyer des droits communs dans des établissements saturés. L’humiliation fait partie de la peine. Être détenteur du grand prix du roman de l’Académie française (2015) pour son roman « 2084: la fin du monde », ne vaut plus rien désormais pour Boualem Sansal. Et on a beau se dire qu’en l’occurrence, les autorités algériennes se déshonorent, la consolation est un peu maigre, surtout pour le premier concerné. Aveu de faiblesse, paranoïa: embastiller des écrivains est mauvais signe et on ne peut s’empêcher de penser à Voltaire qui fut emprisonné à deux reprises, la première fois pour avoir critiqué le Régent. À soixante-quinze ans, Boualem Sansal se retrouve quant à lui, bouclé dans un drôle d’Ehpad.

Selon Le Pen-Club français, dont le premier président fut symptomatiquement dirigé dès 1921, par Anatole France (1844-1924), conscience de son époque, selon cette organisation donc, ayant essaimé un peu partout dans le monde, il existe un classement des pays les plus zélés à mettre les écrivains jugés anticonformistes en prison. Selon les sources et les années, le peloton de tête reste relativement invariable avec des pays comme la Chine, l’Iran, la Birmanie, l’Arabie Saoudite, l’Égypte, la Biélorussie. Et pas juste trois jours histoire de méditer sur le péché d’insolence, non en général il s’agit de longues peines, comme le notait le site Actualitté en 2022. La menace pour la sécurité nationale, apparaît toujours dans ce domaine, comme une impeccable motivation, forfaitaire, bien pratique afin de justifier au plus vite une mise sous écrou. Anatole France encore lui, connu pour ses combats à l’égard de la colonisation, du génocide arménien, de la montée des totalitarismes ou encore de l’innocence de Dreyfus, aurait été à ce titre bon pour les oubliettes. La chance de vivre dans un État de droit, certes imparfait, mais avec la liberté d’expression à la boutonnière, est chez nous, bien trop sous-estimée.

On n’oubliera pas bien sûr que c’est à la suite d’un bref séjour en prison, que les amis d’Apollinaire se liguèrent pour créer Les Soirées de Paris. En 1911, la justice française cherchait effectivement un coupable pour une histoire idiote de recel de statuettes volées et tant qu’à faire le compte, pour le vol de la Joconde. Il existe une photo d’Apollinaire chez le juge d’instruction et le moins que l’on puisse dire est que son visage exprimait à la fois une angoisse, un désarroi et un accablement. Il y connut aussi l’humiliation qui lui fit écrire à propos de la cellule 15 de la 11e division: « Avant d’entrer dans ma cellule/Il a fallu me mettre nu/Et quelle voix sinistre ulule/Guillaume qu’es-tu devenu. »

Quiconque a jamais visité une prison ressent assez vite la sorte de carcan atmosphérique qui s’abattra sur le nouveau venu. S’il s’y trouve pour une raison obscure, fumeuse, comme une atteinte à l’unité nationale, il est probable que son impression s’en trouvera décuplée. L’envoi en taule de Boualem Sansal devrait nous faire méditer sur la fragilité des valeurs que l’on défend à raison. On lit ci et là, concernant l’écrivain franco-algérien, que certains auraient nuancé la condamnation de la condamnation, en laissant entendre que bon, il aurait peut-être dépassé les bornes et commis des erreurs d’écriture, sans compter le facteur aggravant de ses cheveux longs. Mais ses contempteurs, c’est à souligner, usent justement de cette liberté d’expression dont Boualem Sansal est aujourd’hui privé. Et dont ils méconnaissent à l’évidence le prix.

PHB

Photo: ©PHB

 

 

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4 réponses à Au cachot le stylo-plume

  1. vera dupuis dit :

    MERCI Philippe, Les Soirées de Paris, une voix qui compte

  2. Claude Debon dit :

    Attention, cher Philippe, vous risquez gros à votre tour! C’est bien de citer Anatole France, tombé dans l’oubli, honni par André Breton que l’on célèbre urbi et orbi.

  3. Philippe PERSON dit :

    Cher Philippe,
    a-t-on a le droit de dire qu’on n’aime pas Boualem Salem ?…
    C’est mon cas. De là à supposer que je suis content qu’il paie le prix fort pour ses propros que je n’aime pas, c’est aller vite en besogne…
    Je lui reproche une chose : pourquoi s’est-il volontairement jeté dans la gueule du loup ?
    Cherchait-il le martyr ? J’espère qu’il n’obtiendra pas cette satisfaction !

  4. jmc dit :

    « La chance de vivre dans un État de droit, certes imparfait, mais avec la liberté d’expression à la boutonnière, est chez nous, bien trop sous-estimée. »
    Tu as tout dit, cher Philippe.

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