D’emblée, on est attiré par le personnage qui figure sur la couverture. Il a un côté Petit Prince, mais en plus turbulent. Au fil des pages, on suit les évolutions de cette jeune femme capable des positions les plus acrobatiques. Elle doit pratiquer le skate, ou être une excellente break dancer. Imaginé par la dessinatrice Marion Ferraud, dont le pinceau est aussi souple que les figures qu’elle représente, ce personnage pourrait servir de guide au lecteur pénétrant dans le monde à la fois familier et singulier de Philippe Bonnet. Après « Textes de variété moderne » (2019, Éditions Bleu&Jaune), le journaliste qui a redonné vie aux Soirées de Paris propose cette fois un ouvrage poétique au titre sibyllin: « Soyons snobs en attendant le retour des papillons ». Pour déconcertante qu’elle soit, la formule peut donner le ton du recueil. Pas de prétentions métaphysiques, pas de messages, pas de préciosités … si ce n’est parfois pour la beauté du mot, pour son exotisme, pour sa couleur. Plus flâneur que voyageur, plus citadin que campagnard, Philippe Bonnet trouve son inspiration dans l’environnement immédiat, et explore le banal pour en extraire des richesses insoupçonnées.
Comme pour le précédent recueil, on se gardera bien de lire page après page dans l’ordre arithmétique. D’ailleurs le livre d’une centaine de pages, format « à l’italienne », ne comporte qu’une numérotation symbolique tellement elle est diaphane. Guidés par le hasard, toujours accompagnés du personnage de Marion Ferraud, on errera d’un poème à l’autre. Les textes souvent courts, dépourvus de titres, se succèdent comme autant d’estampes qui se suffisent à elles-mêmes. Ce peut être une situation moins ordinaire qu’il n’y paraît, une rencontre inopinée, un moment observé, comme cette scène avec ces trois gamins à capuche croisés dans l’autobus: « Et l’un d’eux a dit/Alors on fait quoi /On ne va quand même pas/Rester debout/Comme des zoizeaux /Quelque part/Quelqu’un a ri ».
Parfois l’imagination vient modifier le réel et l’on devine le clin d’œil: « Je ne t’ai pas/Reconnue tout de suite/La dernière fois/Tu étais apparue/ En machine à coudre/ C’est vrai que ça change ». Philippe Bonnet aborde aussi des sujets « graves » mais il le fait avec la politesse (ou la bienséance) qui permet d’éviter tout pathos: « Avis de fermeture/Tout le bleu du ciel/A viré au jaune/Et mon vieux père a dit/Je m’ennuie/ Je veux mourir /Le soleil n ‘a plus d’intérêt ».
Derrière l’apparence de sérieux (c’est une poésie qui sait se tenir), il y a souvent un regard oblique, un rictus, un humour distancié. En d’autres temps, lorsque les revues littéraires aimaient classer les tendances des multiples écoles poétiques, on aurait rangé Philippe Bonnet parmi les « Fantaisistes », au même titre que Paul-Jean Toulet, Francis Carco ou Franc-Nohain. Cette fantaisie-là a souvent des relents surréalistes: « Au fond de l’aquarium/Je suis le scaphandrier en deuil/ Qui pleure sa jolie morue/Boréale/La faute à la pleine lune. »
L’un des derniers textes reprend le titre et, d’une certaine façon, l’explique: « Restons snobs/En attendant le retour/des papillons /II est grand temps/De sulfater les étoiles ». Qu’il nous soit permis de penser que l’auteur raille les politiques qui citent abondamment ce vers d’Apollinaire, à chaque discours, ad nauseam: « Il est grand temps de rallumer les étoiles « … sans toujours en connaître bien l’origine (il provient du prologue des « Mamelles de Tirésias »).
Quant au snobisme de façade que recommande l’auteur, on sera éclairé par la lecture de l’ouvrage. De la même façon qu’il existe des marxistes « tendance Groucho », Philippe Bonnet serait plutôt quant à lui un snob… « tendance Boris Vian » (« J’suis snob », la célèbre chanson de l’écrivain trompettiste date de 1954). Il y a pire comme parrainage.
Gérard Goutierre
Merci Gérard, nul n’aurait su mieux dire
Merci pour cette lecture éclairante, qui nous dit pourquoi on a adoré ces mots et ces dessins, pourquoi c’est un tel bonheur de tenter de mettre ses pas dans les pas de l’auteur, qui nous balade – dans tous les sens du terme – dans ses sentiers poétiques.
Une belle amitié, deux plumes vagabondes et volages, on applaudit bien fort!