Les Homo sapiens, du moins les plus raffinés, aimaient à jouer avec les sons. Avec un os de vautour, ils avaient conçu une flûte primaire en perçant des trous. Ce qui avait permis à son concepteur de jeter, en toute ingénuité, les bases de l’harmonie. Cela n’a l’air de rien mais quand on écoute une sonate de Corelli, on peut se rappeler que les délicates notes émises par le violon, le clavecin ou l’archiluth, viennent de là. Et plus exactement de la grotte Chauvet, dont on a exploré le contenu il y aura trente ans en décembre. Cette cavité de 8500 mètres carrés où vécurent deux groupes d’individus, en deux époques successives, la première il y a plus de trente mille ans. Des chercheurs se sont donc appliqués à reconstituer des empreintes sonores, jusqu’à obtenir l’effet émis par un ours hurlant sa joie ou sa peine, en tout cas se signalant ainsi aux importuns par un affreux grondement. Depuis la découverte par trois archéologues amateurs, Christian Hillaire, Éliette Brunel et Jean-Marie Chauvet, du côté de Pont d’Arc en Ardèche, les mises au jour de trésors pariétaux se sont accumulées, nous donnant à mieux connaître nos très lointains aïeux, dont le cerveau, comparativement aux néandertaliens, était conçu pour une évolution prometteuse. Un documentaire de la chaîne Arte, torche en main, nous fait passer par le trou souffleur conduisant aux mirifiques parois.
Ces lions des cavernes, ces chevaux, ces aurochs et autres rhinocéros, dessinés au charbon de bois ou avec de la matière ocre, sont au moins aussi impressionnants que le street art d’un Jean-Michel Basquiat, quelque trois cents siècles plus tard. Comme le fait remarquer une intervenante, lorsque les locataires allumaient des feux, la lumière des flammes et des ombres portées, devaient créer de surcroît, une animation fascinante. Ce faisant ils nous ouvraient les portes de l’art. Et quand on observe ce qu’ils étaient capables de faire entre ces animaux peints ou des statuettes que l’on trouvait par ailleurs (certaines visibles au musée de l’Homme), nous sommes bien obligés -le cas échéant- de réévaluer nos préjugés. Le normalien, tout normalien qu’il soit, leur doit tout.
Le documentaire d’Alexis de Favitski n’a qu’un défaut, au demeurant supportable. Sur une heure et trente minutes, l’auteur a cru bon d’insérer des séquences comme si vous y étiez, avec des figurants taiseux, couverts de peaux de bête, torches de bois sec en main. Ce n’était pas indispensable. Mais le résultat global est à la hauteur, on apprend beaucoup de choses sur ces lieux qui n’étaient, selon les études actuelles, pas habités mais seulement fréquentés. On ne connaît pas les motivations exactes des Sapiens mais l’obstination des chercheurs pourvoit ses dividendes, années après années. On peut se dire tout de même que cette lointaine humanité venait au moins se réchauffer dans la grotte, pour les périodes de froid ou s’y rafraîchir dans les périodes de réchauffement. Mais provisoirement, puisque les chercheurs n’ont pas relevé de signes de vie quotidienne, préférant l’hypothèse d’un lieu de célébration. Ou qui sait, d’un proto-centre commercial avec ses images de pub, ses stands de peaux assorties et de flûtes en os de vautour.
Il est drôle de se dire qu’en ce centenaire de l’épopée des surréalistes, il en fut un, André Breton pour ne pas le nommer, qui un jour de 1952 effaça du pouce, trois centimètres d’une trompe de mammouth, dans la grotte de Pech-Merle du côté de Cahors où il avait sa maison. Lors du procès l’année suivante, il lui a été reproché ce geste qui lui valut « un coup de gaule » sur la main, de la part du guide offusqué. Mais Breton, selon différentes sources s’était défendu, parce qu’il avait voulu par cet effacement, démontrer que le dessin original avait été retouché.
Les humains du 20e siècle ont conservé cet aspect retors, râleur, qui prévalait déjà dans les cavernes. La découverte de Chauvet avait en effet déclenché des batailles d’ayants droit devant les tribunaux, avec dépôt de marque et oubli de renouvellement de la marque à la clé. Des histoires de corne cul, des disputes picrocholines, autour d’un lieu qui valait quand même beaucoup mieux que ça. Surtout que les authentiques détenteurs des copyrights, sapiens unlimited, n’étaient pas des perdreaux de l’année.
PHB
… aussi impressionnants…
Non, pas du tout !
BIEN PLUS IMPRESSIONNANTS !!!
« Le documentaire d’Alexis de Favitski n’a qu’un défaut, au demeurant supportable. Sur une heure et trente minutes, l’auteur a cru bon d’insérer des séquences comme si vous y étiez, avec des figurants taiseux, couverts de peaux de bête, torches de bois sec en main. Ce n’était pas indispensable. » : ou comment rendre ridicules des films par ailleurs sérieux et intéressants ! Je suis heureuse que quelqu’un d’autre que moi prenne la peine de critiquer cette fatigante manie.