Fastes chinois

Le musée Guimet veut nous en mettre plein la vue en cette année 2024, nous verrons pourquoi. La façade extérieure droite est recouverte de voile de tulle rouge chinois, sur lequel se détache d’étranges créatures abritées dans des niches. À cette distance, on a du mal à distinguer ce curieux bestiaire, sorti, avec l’aide de l’intelligence artificielle bien entendu, de l’imagination de Jiang Qiong Er, plasticienne et designer originaire de Shanghai. Plus bas, le long de la grille, les douze créatures fantastiques inspirées de légendes chinoises sont reproduites sur des panneaux en couleur, ce qui leur va mieux que cette teinte uniforme tout là-haut dans leur niche. On retrouvera ces « Gardiens du Temps » à l’intérieur, exposés dans la superbe rotonde de la bibliothèque du premier étage, ayant revêtu cette fois l’allure de petites statues en bronze. Oreilles gigantesques, queues en plumeau ou en traîne, joyeux dragon à volutes, ce bestiaire fantastique a quelque chose de comique. On ne voit pas très bien en quoi il s’inscrit dans cette année du dragon qui est celle du soixantième anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine. Souvenez-vous: de Gaulle reconnaîtra l’existence de la Chine en 1964 (« Elle existe de plus en plus », aurait-il dit), et pour cette année de célébration, le président chinois nous a honoré de sa visite d’État au mois de mai dernier.

Multipliant fastes et expositions en cette année anniversaire, outre « Les gardiens du Temps », le musée Guimet nous propose en ce moment « L’or des Ming. Fastes et beautés de la Chine impériale (14e-17e siècle) ». En dépit de son titre fastueux, l’exposition est assez réduite, mais il y a de quoi nous faire rêver avec ces objets luxueux venus du musée Qujiang (Xi’an, Shaanxi, Chine).

Dans une petite salle en longueur plongée dans la pénombre, on se presse autour d’une vitrine centrale brillant d’or et de pierres précieuses, dévoilant la finesse de l’orfèvrerie de la table impériale sous les Ming, autrement dit durant quatre siècles. L’occasion de nous rappeler que la dynastie des Ming, puissance politique d’ethnie Han, contemporaine de la Renaissance italienne, renverse le pouvoir mongol des Yuan, restaurant les traditions chinoises et le confucianisme. On lui doit la Cité Interdite et la Grande muraille.
Sur la table impériale comme sur celles des hauts dignitaires, on trouvait tous ces objets
en or filigrané d’une finesse extrême, se déclinant en petits paniers ou boîtes sertis de rubis. Un sceptre très décoratif est lui aussi constellé de pierres précieuses. Parmi les visiteurs, on s’étonne de voir autour de la vitrine autant d’hommes de tous âges que de femmes, tout comme dans l’autre grande salle en rotonde consacrée aux bijoux.

Rêvons donc, hommes et femmes, le long de ces vitrines contenant des épingles à cheveux à décor de fleurs, crabe, chauve-souris, calebasse, serties d’or, de perles, de rubis, de saphirs, de jade blanc. Certains motifs, tels que le dragon, le faisan ou le phénix, sont en principe réservés à l’empereur et à ses plus proches parents. D’autres, à l’instar des fleurs et des oiseaux, sont associés aux saisons et porteurs d’un message de bon augure. Ces longues épingles, ces boucles d’oreille étaient indispensables aux dames de la cour qui avaient l’interdiction de couper leurs cheveux, tout comme les hommes adultes. Sur les murs, des reproductions de tableaux de peintures célèbres nous rappellent avec quelle fantaisie ces dames s’ornaient les cheveux, le front, les oreilles. Certaines boucles d’oreille, en particulier, peuvent faire très envie aux femmes d’aujourd’hui.

Ce serait dommage de quitter les lieux sans constater de visu l’objet du délit actuel: au premier étage, à l’entrée des salles où il y a peu de temps encore un panneau indiquait « Népal-Tibet », on lit maintenant « Monde himalayen ». Idem dans les salles qui, depuis la donation de Lionel Fournier en 1989, présentent la plus grande collection d’art tibétain au monde. Cette substitution fait couler beaucoup d’encre dans les milieux concernés. Il ne leur a pas échappé qu’elle intervient en pleine année de célébration: d’éminents tibétologues et sinologues ont signé le 31 août dernier une tribune dans Le Monde, affirmant que deux grands musées nationaux, le musée  Guimet et celui du Quai Branly, ont « courbé l’échine » devant les « desiderata » de Pékin. D’autres font valoir que la notion d’art himalayen n’a pas de sens.

Si la direction du musée du Quai Branly a depuis fait marche arrière, celle de Guimet s’obstine, ravivant le souvenir des troupes maoïstes chinoises venues en 1950 reprendre ce territoire indépendant depuis 1912. L’odyssée du dalaï-lama, exilé au nord de l’Inde à Dharamsala depuis 1959, est dans toutes les mémoires. Rien d’étonnant à ce que les partisans du Tibet indépendant, dont les six millions d’habitants, vivent cet épisode comme une nouvelle tentative d’effacement de leur pays par la Chine.

Lise Bloch-Morhange

« L’Or des Ming »
Fastes et beautés de la Chine impériale (14e – 17e siècle), Musée Guimet, jusqu’au 13 janvier 2025
Photos: (1) ©Frédéric Berthet Photo 2) Pendant d’écharpe à décor ajouré de dragons ailés
Dynastie Ming (1368-1644)  Or serti de rubis © Peter Viem Kwok’s Dong Bo Zhai Collection (Collected in Xi’an Qujiang Museum of Fine Arts)

 

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5 réponses à Fastes chinois

  1. KRYS dit :

    Une bien belle invitation pour cette exposition.
    Merci Lise.

  2. Gege dit :

    Très intéressante description des joyaux chinois qui montre que ces  » jaunes » savent faire autre chose que des panneaux solaires et des voitures électriques…..

  3. Tolentino Jacqueline dit :

    Merci Lise.
    Tu me laisse envie de visiter l exposition.
    Il suffit de lire ton arti le je me sens déjà au musees.
    Merci merci

  4. Isa dit :

    J’ignorais que l’art himalayen s’était substitué à l’art du Népal et du Tibet. C’est comme les pays d’Afrique, entre autres, débaptisés et rebpatisés, sauf que là, ce n’est pas le choix des autochtones…

  5. anne chantal dit :

    Merci madame Lise !
    La façade du musée dans la nuit est vraiment magique, mais le musée est fermé …

    Guimard fin : Frédéric D.était désolé de vous avoir coupé la parole, et quand il s’est adressé à vous, vous étiez envolée …

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