Tout le monde ne sait pas que la nuit tombée, lorsque les grilles du jardin du Luxembourg sont fermées, il se produit des événements louches. Sauf la comtesse de Ségur (1799-1874) qui ne se dépare jamais d’une rigidité décourageante, certains personnages statufiés descendent de leur socle afin de se dégourdir les jambes. Un petit garçon en 1964, qui s’était aventuré dans le parc, avait raconté le phénomène à sa mère et il se souvient encore qu’il s’en était pris une, car à l’époque, c’était ainsi que l’on scellait le débat, étant entendu que le verbe clore n’a pas d’imparfait. Parmi ceux qui profitent des allées désertes, on peut reconnaître Pierre Mendès France (ci-dessus), toujours vêtu de son imperméable, ce qui lui permet de ne pas être trop transparent comme il sied aux fantômes sachant se tenir. Tout en déambulant il parle à voix haute. Il se souvient qu’au début de 1955, son séjour à la tête du gouvernement semblait compromis malgré une popularité encore bonne à plus de 55% d’opinions favorables. Toute ressemblance avec l’actualité n’est pas fortuite. Bien qu’il soit considéré à gauche comme une personnalité morale, les socialistes l’avaient laissé tomber comme une chaussette trouée et presque tout ce que l’Assemblée comportait de démocrates aussi.
Il en parlerait bien à qui de droit, mais à Matignon l’on considère qu’en ce moment, on n’a que faire de fantômes à même de semer le trouble dans l’esprit des Français, un peu las avec raison, des manœuvres d’appareil. Le risque étant d’appareiller pour de bon un jour qui ne serait pas fait comme un autre.
Ce qui fait que le grand Mendès, aime à retrouver du côté du coin aux échiquiers, les écrivains Stefan Zweig et Paul Éluard et membres de ce petit monde sculpté. Les deux ont eu maille à partir avec la politique. Le premier avait trouvé un temps que le nationalisme excessif, en Autriche comme en Allemagne avait quelque attrait fascinant, avant de se raviser et de prendre un virage sur l’aile bien vu, à cent quatre-vingt degrés. Quant au second il avait déjà donné en 1914, comptant parmi les premiers mobilisés et, devenu pacifiste, il écrira durant la seconde guerre un fameux poème intitulé « Liberté », notion qui encore aujourd’hui, passe facilement par pertes et profit au nom du premier prétexte venu. La statue d’Éluard n’est pas facile à porter, contrairement à celle de Mendès. Elle a été sculptée par Zadkine dans le genre ectoplasme à la lyre, bien sur le plan artistique mais pour parler entre amis c’est plus gênant d’autant que le vent fait du bruit en passant à travers les os du squelette. C’est pourquoi Monsieur Paul imite Mendès quand il quitte son socle, il enfile un imper oublié par un touriste sur une chaise près du grand bassin. Zweig pour sa part, s’habille comme il l’entend, son portrait sévère se limitant à la tête.
Pour en revenir au grand bassin, c’est toujours un plaisir d’y voir la série des reines et femmes illustres, comme Marie Stuart (1542-1587), qui fut reine de France très peu de temps avant de rentrer prématurément en Écosse à la mort de François II. Elle avait connu le château Gaillard debout lors de ses noces. « Adieu plaisant pays de France » aurait-elle écrit en partant. Comme tout est lié ici-bas au jardin du Luxembourg, elle aime y rencontrer Zweig car il avait rédigé (en 1935) la biographie de la dame depuis l’âge de ses six jours, en tant que reine d’Écosse. La pauvre fut décapitée à la hache, au bout de trois coups, au château de Fotheringhay le 8 février 1587 à dix heures du matin.
Éluard aime de son côté parler avec Marguerite d’Angoulême (1492-1549), sœur de François 1er et reine de Navarre. Ce qui se conçoit dans la mesure où elle avait protégé des écrivains comme Rabelais et puis elle avait elle-même fait de la poésie. « Je vous prie que ces fâcheux débats/D’arbitre franc et libertés laissés. Aux grands docteurs qui l’ayant ne l’ont pas. » Un peu hermétique pour un esprit de 2023, mais l’avantage de l’hermétisme est que l’on est libre d’y trouver matière à sa guise. Mendès en revanche parlait clairement, au risque d’éblouir et de brouiller le message.
PHB
Merci de cette promenade magique ! Finalement, le voisinage du Luxembourg ne doit pas être si calme qu’on veut bien nous le faire croire.
Malgré cela un balcon avec vue sur ces frissons nocturnes ne serait pas pour me déplaire, en tendant bien l’oreille on doit entendre de bien beaux échanges quand se tait le crissement des marbres sur les graviers !
Votre texte est un plaisir !
Très jolie balade dans ce Luxembourg inspirant.
couleur-bulle.fr
c’est un jardin…. extraordinaire !