Il y a maintenant dix-huit ans, en 2006, Peter Gelb, nouveau directeur du Metropolitan Opera de New York, eut une idée de génie: diffuser en direct des opéras de sa très prestigieuse maison dans des cinémas, pour démocratiser cet art soi disant élitiste. Première saison prudente, et dès la seconde, succès foudroyant. Aujourd’hui, quelque cinquante-cinq pays à travers le monde, jusqu’aux Îles Vierges en passant par la Russie ou la Chine, retransmettent chaque année en direct huit à dix opéras par saison, avec sous-titres locaux. À travers la France, la retransmission passe par le circuit des cinémas Pathé. L’idée est de transporter au Met, le temps d’une soirée, ceux qui n’ont pas les moyens de prendre l’avion jusqu’à New York. Tout est organisé dans ce but.
Samedi 5 octobre dernier, on a assisté au premier opéra de la saison, « Les Contes d’Hoffmann » de Jacques Offenbach, une production remaniée datant de 2009. Bien assis dans un fauteuil de cinéma à 18h55 (pour la matinée new-yorkaise, comme à l’habitude), on a vu défiler sur grand écran les prochaines productions de la série « Metropolitan Opera Live HD », huit opéras cette année en haute définition. Comme toujours, nous avons été pris en charge par l’hôtesse ou l’hôte de la soirée, une cantatrice ou un chanteur maison, ce soir-là le ténor Ben Bliss, chargé d’interviewer les vedettes lors des entractes. Il faut bien dire que cela nous vaut généralement des questions assez banales (« How do you feel ? Is it a great rôle ? A great production ? » etc.) et que ces échanges ne sont pas sous-titrés, ce qui doit laisser perplexes pas mal de spectateurs français. Par contre les incursions backstage où s’affairent les techniciens entre les actes nous introduisent au cœur même du saint des saints.
Pour le moment, la caméra balaie la salle violet et or de haut en bas, filmant jeunes et vieux en gros plan ou les derniers spectateurs gagnant leur siège. Quand sur l’écran s’affiche en haut à droite le décompte, 10, 9, 8…0 ! notre cœur s’emballe alors que le rideau s’ouvre, le plus grand du monde paraît-il, sur un proscenium de 16 mètres de hauteur sur 16 de profondeur.
Dans une taverne avec tables et tonneaux, tandis que les esprits du vin font « Glou ! Glou ! Glou! », un dialogue un peu obscur s’engage entre deux personnages (il est question de La Stella). Puis le maître des lieux et ses garçons précèdent une bande d’étudiants chahutant et chantant « Drig, drig, drig, maître Luther !… À nous la bière à nous ton vin! ». Comme pour tout opéra, mieux vaut connaître l’intrigue à l’avance, afin de ne pas se perdre en conjectures, d’autant que l’œuvre est foisonnante: dans une sorte de transe, le poète Hoffmann va évoquer successivement les trois passions de sa vie, la poupée mécanique Olympia, la pure jeune fille Antonia, la prima donna Giulietta. « Trois femmes en une seule », chantera-t-il vers la fin. Et trois fiascos sentimentaux, inspirés de divers contes du grand romancier allemand E.T.A. Hoffmann.
Dans la taverne, suivi comme une ombre de Nicklausse (rôle de mezzo soprano travestie à la fois compagnon et muse), Hoffmann entame la légende allemande de Kleinzach, imitant les contorsions du petit avorton. Premier air pour Hofmann, premiers applaudissements, et premier morceau de bravoure pour Benjamin Bernheim, nouvelle star internationale, rôle-titre de cette production (voir mon article du 12 septembre 2024). Rôle écrasant, car il est présent sur scène de bout en bout: aussi bon acteur que chanteur, les gros plans de la caméra traquent son engagement dramatique, qui participe de sa magie de chanteur.
Lorsqu’au deuxième acte, chez le savant fou Spalanzani, bric-à-brac de fioles et mannequins désarticulés, Hoffmann chausse des lunettes de soleil, Benjamin, aveuglé par la passion, prend un air émerveillé qui ne le quitte pas. Sur le plan scénique, le Met nous en met plein la vue, avec le défilé des invités (irréprochable chœur du Met) se transformant en spectacle du Lido avec danseuses lascives et clones d’Olympia.
La soprano américaine Erin Morley, qui tient depuis des années le rôle de la poupée mécanique Olympia qui lui fut inspiré par Natalie Dessay, obtient comme toujours son ovation.
Même foisonnement sur scène pour le dernier acte de Venise, curieusement transposé au XVIIIe siècle. Benjamin y perdra son reflet, c’est-à-dire-son âme, avec fureur et désespoir, alors qu’entre temps, on l’aura vu en amoureux romantique entonner avec son Antonia « C’est une chanson d’amour triste ou folle… » Après tant d’airs plus beaux les uns que les autres, il mêlera sa voix à toutes les autres dans le final d’une infinie tendresse « On est grand par l’amour Et plus grand par le cœur… »
Standing ovation, comme toujours, du généreux public new-yorkais.
Lise Bloch-Morhange
» L’idée est de transporter au Met, le temps d’une soirée, ceux qui n’ont pas les moyens de prendre l’avion jusqu’à New York. »
Les moyens ? Prendre l’avion pour une soirée à NY est-ce vraiment raisonnable ?
Annie
Merci de votre réaction! C’est une manière de dire en plaisantant que l’on fait tout pour que nous nous sentions à New York…
C’est en effet, une incomparable possibilité d’aller à l’opéra près de chez soi. Personnellement, j’aime les interviews entre les actes, ça me permet d’entendre du bon anglais, même si les chanteurs reprennent leur souffle ce faisant…Un bémol (!) cependant : une prise de son désastreuse pour Turandot il y a quelques années (avant le COVID), seule fausse note d’une longue série de retransmissions jusqu’alors impeccables.
MP
Eh bien moi qui suis une fidèle depuis le début, je me souviens de plusieurs retransmissions s’interrompant parce qu’il y avait un orage aux Etats Unis ou parce que le son en salle n’était pas au point. Ce furent des débuts héroïques…