La terreur dans ses œuvres

Contrairement au rasoir jetable, la lame de la guillotine n’avait pas besoin d’être doublée. Les têtes, après avoir été coupées, ne risquaient pas de repousser. Ce fer de guillotine remonte à la Révolution, période 1793-1794, c’est-à-dire pas le moment le plus reluisant d’un pays qui venait à peine de s’affranchir de la monarchie. On surnommait cet engin réservé aux nobles, « le rasoir national » ou « la sainte guillotine ». Au début l’idée était sous-tendue d’une bonne intention: celle d’éviter tout échec. À la hache c’était moins garanti et chaque ratage aurait occasionné une mauvaise image de l’épuration. De ce point de vue et à la longue, hectolitres de sang après hectolitres de sang, c’était tout de même un peu raté et c’est justement ce qu’il ressort d’une exposition qui vient de débuter au musée Carnavalet. Elle raconte l’an II, correspondant exactement à la période allant du 22 septembre 1793 au 21 septembre 1794, période qualifiée à juste titre par les organisateurs, de « ténébreuse » et « embarrassante ». Symboliquement le mot « terreur » vient de là, ainsi que son cousin « terroriste ». Les termes ont depuis, fait une belle carrière. Selon l’historien Jean-Paul Martin, membre du comité scientifique de l’exposition, la France aurait alors connu un état de « sidération » dû au violent nettoyage politique. D’où la majuscule prise par le mot Terreur.

Tout cela constitue un domaine historique intéressant à rappeler, cartographiant par des éléments documentaires, en quoi l’intelligence politique peut céder le pas à des débordements vengeurs et nihilistes. Le 21 septembre 1792, la royauté avait été abolie mais les comptes n’étaient pas encore faits. Pour les solder, il y eut des hommes à la manœuvre, tel Jean-Louis Laneuville , portraituré par Bertrand Barère de Vieuzac, censé personnifier « l’héroïsme viril » dont les républicains voulaient faire un modèle. Avec parfois quelques retours de manivelle symbolisé par la mort de Marat dans son jacuzzi, assassiné par Charlotte Corday. Qui elle-même ira à la guillotine, la machine vorace ayant tendance à s’emballer. Personne n’avait assisté au meurtre de Marat. Mais le peintre Jacques-Louis David imagina la scène dans une célèbre toile, laquelle contribua à faire de lui le scénographe et documentaliste des événements.

En prison il y eut aussi un effet vases communicants. On les vida en 1789 et on les remplit de nouveau avec d’autres, ceux qui n’avaient pas l’heur d’être dans le bon sens du vent. On pouvait, avec de l’argent, y améliorer son ordinaire et ainsi soulager un peu l’angoisse d’être prochainement exécuté. L’exposition a prévu une authentique porte de cellule provenant de la prison Saint-Lazare, dont quelques éléments sont encore debout du côté de la gare du Nord. Sans compter les autres lieux d’enfermement comme  l’Abbaye, Sainte-Pélagie ou encore la Conciergerie, antichambres de la fin. Arrêtée le 10 août 1792, la reine Marie-Antoinette sera d’abord incarcérée à celle du temple avant de rallier la Conciergerie où elle méditera sur sa chute durant soixante-seize jours. Un an en tout, avant que la guillotine ne lui tranche le cou, le 16 octobre 1793 exactement.

Cette séquence de l’Histoire aura au moins vu l’abolition officielle de l’esclavage par la Convention, le 16 pluviôse an II. Le système a été partiellement rétabli dans certaines colonies françaises en 1802 et il a fallu attendre un décret de 1848 pour qu’il soit définitivement révoqué. Avec toutes les réserves d’usage puisqu’il est bien connu que l’histoire ne se répète pas, elle bégaie. Et il a fallu, notons-le au passage, attendre la loi du 21 mai 2001, reconnaissant la traite et l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.

Si cette exposition convoque notre intérêt, c’est qu’elle entre assez vite en résonance avec l’actualité, quand la paranoïa saisit des acteurs politiques, peu importe le pays. On nous explique ici notamment, à quoi correspond la « pédagogie de l’effroi » et en quoi elle est utile pour dissuader les oppositions. C’est à ce titre que l’on ne faisait plus durer les mises à mort, mais qu’il s’agissait au contraire de faire la preuve, grâce à l’efficacité du couperet, de « l’inflexibilité du nouvel ordre républicain ». C’est pourquoi les exécutions étaient orchestrées comme des spectacles, à fin d’instruction. Il faut bien dire qu’au sortir du musée Carnavalet, cocarde à la boutonnière par précaution, l’impression d’avoir été dûment briefé, est assez nette.

PHB

« Paris 1794-1794, une année révolutionnaire » Musée Carnavalet Histoire de Paris. Jusqu’au 16 février 2025
Photos: ©PHB
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3 réponses à La terreur dans ses œuvres

  1. Gilles Bridier dit :

    L’engin fut aussi surnommé « la veuve », parce qu’elle en fabriqua beaucoup. Mais aussi, peut-être, parce qu’elle faisait perdre la tête à tous ceux que l’on couchait entre ses bras.

  2. jmc dit :

    Pour retrouver l’esprit de la Terreur, lire ou relire les Onze, de Pierre Michon. Un court roman autour du fameux Comité de salut public, une fiction, donc, et pourtant une brillante leçon d’Histoire.

  3. Yves Brocard dit :

    Pour les Parisiens ou les visiteurs qui veulent voir une guillotine de près, et en musique, Le Caveau des Oubliettes 52 rue Galande dans le 5e arrondissement est une adresse sympathique. A deux pas de Notre Dame.

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