S’il est recommandé de se promener dans les rues de Paris en levant toujours le nez vers sa droite, il est probable que le chat en périlleuse position à l’angle du Castel Béranger échappe au promeneur non prévenu. Ce bâtiment construit au 14 rue Jean de La Fontaine, non loin d’Auteuil, est l’un des plus beaux manifestes parisiens Art nouveau de Guimard, et le premier immeuble de rapport du style construit en France. Le panneau Histoire de Paris placé devant nous révèle qu’Hector Guimard, né à Lyon le 10 mars 1867, a su faire la synthèse entre son goût pour le néo-gothique à la Viollet-le-Duc et les matériaux modernes: « Dès la réalisation de ce Castel aussitôt surnommé « Dérangé », édifié entre 1895 et 1898, son jeune architecte de vingt-sept-ans fait figure de grand-maître de l’Art nouveau ». Le chat faisant le gros dos en grès émaillé réalisé par Gilardoni & Brault nous regardant la tête penchée du haut du premier étage intrigue beaucoup, depuis plusieurs années, les membres du Cercle Guimard: établi maintenant au Castel même, le Cercle a été fondé il y a quelques années par des passionnés pour promouvoir et préserver l’œuvre du grand-maître. Il apparentait jusque-là le chat Béranger aux chats en gargouille du château de Pierrefonds (Oise) restauré de fond en comble par Viollet-le-Duc sous le Second Empire.
Tel Sherlock Holmes traquant de nouvelles pistes, Frédéric Descouturelle, très actif membre du bureau, vient de publier une nouvelle étude sur le sujet, après la découverte notamment de deux autres tirages de ce panneau félin sur une certaine villa Thouvenel, belle maison non datée surplombant la gare RER de Fontenay-sous-Bois. Loupe à la main, l’historien de l’art s’est penché sur les trois panneaux, remarquant notamment que le chat Béranger avait la queue beaucoup plus coudée que les chats Thouvenel, ce qui l’a plongé dans des abîmes de déduction. Recherches faites et nombreuses archives consultées, il peut affirmer aujourd’hui que le grand Guimard n’avait pas prévu au départ d’insérer ce panneau au chat, mais que l’idée lui en serait venue après avoir décidé de prolonger la grande baie vitrée du salon jusqu’à l’angle. Tout cela peut se vérifier d’un coup d’œil, en levant la tête. Jumelles conseillées pour cerner l’allure inquiétante de ce félin haut sur pattes aux yeux exorbités (chat dérangé ?), s’inscrivant dans une élégante courbe typiquement Art nouveau.
Mais voilà que l’historien holmésien du Cercle Guimard vient d’intégrer dans son approche deux autres découvertes félines pouvant constituer « le chaînon manquant » entre les chats en gargouille de Pierrefonds et le félin Béranger au dos rond. Il faut maintenant nous rendre au cœur du XVIe, et descendre la rue de Longchamp à partir du croisement avec l’avenue Victor Hugo, sur le trottoir de droite. Peu après ce croisement, on tombe sur une petite rue privée annoncée par deux panneaux l’un au-dessus de l’autre sur la maison d’angle: le plus haut annonce en blanc sur bleu « Rue Pomereu. Voie privée. Défense d’y passer avec des véhicules lourds ». Deux mètres au-dessous sur le mur en brique on lit « Rue de Pomereu ». Alors rue Pomereu ou rue de Pomereu? La rumeur publique veut que cette petite artère de cent mètres allant du 132 rue de Longchamp au 20 rue Emile Menier, appartenant jadis au marquis de Pomereu, fut lotie en 1889. Admirons la décoration sobre de la maison bâtie en 1892 à l’angle Longchamp-Pomereu par l’architecte Anatole de Baudot pour son propre usage, mettant en œuvre des « procédés nouveaux de construction » comme le ciment armé. Malheureusement, depuis quelques années, la très chic rue de Pomereu et ses hôtels particuliers sont cernés des deux côtés par de solides et luisantes grilles noires interdisant l’entrée non seulement « aux véhicules lourds » mais au vulgum pecus. Si bien que les jumelles seront bien utiles pour apercevoir sur le mur d’angle de la maison Baudot le chat en équilibre à la verticale le long du mur (ci-dessus), ses pattes de devant reposant sur un fronton, sculpté dans la belle pierre du bâtiment.
Un autre bâtiment et un autre chat, situés à deux pas au croisement de la rue Spontini et du Général-Appert, intéressent également l’historien-détective. Là se dresse l’imposant immeuble de cinq étages coiffé d’une tour d’angle polygonale signé Léon Bénouville (1860-1903). Il suffit de contourner la boulangerie pâtisserie « Au p’tit pain » pour apercevoir un chat (ci-dessous) lui aussi sculpté dans la pierre au niveau du premier étage, ses pattes avant reposant sur une branche et tenant dans sa gueule un oiseau. Ce bâtiment datant de 1899-1901, Frédéric Descouturelle estime que ce chat en pleine activité « pourrait être vu comme un clin d’œil de Léon Bénouville à son maître Anatole de Baudot dont la maison était toute proche ».
Ainsi s’établit une filiation mystérieuse de chat en chat. Le Cercle Guimard ne prétend pas en avoir fait le tour, ni à Paris ni ailleurs.
Lise Bloch-Morhange
Merci beaucoup Lise pour cette jolie promenade féline et poétique le long de quelques rue de Paris. Il ne manque que les chats du Palais Royal de notre bien aimée Colette et quelques autres sculptures et gargouilles.
http://parisontheme.blogspot.com/2013/11/les-animaux-domestiques-entre-chiens-et.html
Un grand merci pour cette jolie histoire de chats « art nouveau »..Je suis adhérente du cercle Guimard, et serai présente le 10/10 à l’AG. Si vous êtes présente, j’aimerais vivement vous rencontrer !
Bien cordialement,
anne chantal
Quelle découverte pour moi. Merci Lise.
Adhérente moi aussi, j’aurai plaisir à faire votre connaissance à l’A.G.
Nous pouvons nous donner rendez-vous environ 20 minutes avant le début de l’AG avec Anne-Chantal également, à l’entrée de la salle .
Je vous rencontrerai toutes les deux avec plaisir.
Chaleureusement,
Lise BM
Avec grand plaisir, merci à vous ; je serai vers 18h/18h15 devant la mairie du 16ème, avec un sac à mains rose vif, immanquable !
anne chantal mantel
Merci pour cette histoire de et des photos, mais je ne suis pas très interessée