Panoramas d’autodrome

Parmi tous les aficionados de belles voitures et amateurs variés de mécaniques, un artiste s’était glissé. Lors de l’inauguration de l’autodrome de Montlhéry au tout début de l’automne 1924, Jacques-Henri Lartigue (1894-1986) avait certainement dû jouer des coudes, encombré qu’il était par un drôle d’appareil photographique. Deux objectifs côte à côte comme des jumelles, que surmontait un petit cadre métallique en guise de viseur. Au moment où allait apparaître le format 24×36, il était alors possible de prendre des photos panoramiques de dimensions 6×13. Une géométrie avec laquelle Lartigue allait jouer durant une brève période mais pour des résultats séduisants en diable. Un livre était sorti en 1987 sur le sujet, avec le concours du Centre national de la photographie (CNP) et d’un spécialiste pour la préface, Michel Frizot. Intitulé « Passé composé » il en donnait à voir sur ce qu’il était possible de faire sur un format longueur, soit de droite à gauche, soit de haut en bas.

Michel Frizot (1945-), que l’on présente comme un théoricien et historien de la photographie a semble-t-il, été touché par la grâce émanant des photos de Lartigue en mode 6×13. Notamment lorsqu’il évoque une prise de vue au sommet des tribunes de   Montlhéry (Essonne). Il écrit sans la dire son admiration de Lartigue lorsqu’il sépare la photo en deux , « comme deux instants disjoints, superposés à la manière de la vie des saints sur une prédelle siennoise ». Il démontre ensuite comment est réussi l’exercice visant à exprimer comme un « exercice de piété », la « glorification de la mécanique chère aux futuristes et à bien des artistes de l’époque ». Et de chanter alors les louanges du format long, avec son « effet spatial provocateur », lequel comprend la « transgression des échelles » de même que la « symbiose des fragments de temps épars ».

Lartigue se présentait plutôt comme un amateur, donnant à ce mot un sens mélioratif  contrairement à la signification habituelle. L’appareil en question de marque Nettel, jouait avec son propriétaire et réciproquement. Car le moins que l’on puisse dire c’est que le viseur métallique est sommaire, que la lentille interne s’amuse avec les chinoiseries de la parallaxe et des subtilités byzantines de la mise au point. En l’occurrence, la machine et son opérateur étaient faits pour s’entendre et Lartigue a dû ô combien en apprécier le résultats une fois les tirages effectués, avec toujours une partie sombre sur un côté et une gamme de flous savamment répartis dans la profondeur et dans la marge. Ne pouvant vérifier le rendu instantanément comme de nos jours sur les appareils modernes, il devait donc attendre les tirages afin d’améliorer ses propres procédés, tout au long de sa période 6×13.

Ce qui fait que le résultat est pour le moins probant, c’est que Lartigue a un talent qui ne dépend pas des époques. Il sait cadrer, décadrer, capter des visages, opérer des mises en scènes, saisir un personnage en plein saut. Il y a ainsi cette célèbre photo de Bibi sur la plage de Hendaye en 1927: le parasol et son reflet sur le sable mouillé, Bibi au centre. Cette photo est presque trop bonne ou un peu usée par le succès: on ne sait pas.

Cela vaut le coup d’essayer de se procurer ce livre publié voici près de quarante ans, et que l’on trouve facilement. Rien que pour admirer cette photo de l’Hispano Suiza sur la route de Cabourg avec Bibi et Jean le chauffeur, toujours en 1927. Ou encore celle où l’on voit un monsieur en chapeau vu de dos en train de considérer l’anneau de vitesse tout neuf de Montlhéry, avec au loin un bolide fumant sur la piste courbée. Ou enfin cette vue de 1926 à Royan où en plus de Bibi, figurent au casting, une certaine Loulou et un dénommé Pierre Bouscart. Comme souvent Lartigue a décalé la longue automobile tout à fait au bord, ce qui fait qu’elle a l’air encore plus longue et que le tout est littéralement panoramique. En fait, avec ce format spécial, on pouvait d’une façon générale et plus particulièrement concernant Lartigue, créer ses propres panoramas, des souvenirs en l’occurrence le plus souvent domestiques. De si belles images du vacancier dilettante et très distingué qu’il était.

On pourra toujours marcher dans ses traces en se rendant sur le circuit de Linas-Montlhéry lequel a prévu de fêter son centenaire les 12 et 13 octobre prochains. Si votre téléphone est récent, il devrait vous permettre d’y réaliser quelques plans ultra-larges, mais peut-être pas avec les facéties dues aux aléas spécifiques d’un appareil désormais antédiluvien.

PHB

NB: Lartigue a fait don de ses albums à l’État. Ils sont visibles en ligne. L’année 1924 y est avec, bien visibles, les photos de Linas-Montlhéry. Les 126 albums sont conservés à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (MAP, Charenton-le-Pont).
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Une réponse à Panoramas d’autodrome

  1. Pierre Pohu dit :

    Un très grand merci pour cette chronique qui ne peut que ravir les amateurs de Photographie.
    L’insertion du lien permettant d’accéder aux collections de la MAT de Charenton-le-Pont est un précieux cadeau.
    Bravo !

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