Freudaines

Au creux des vacances, un hebdomadaire (1) a ressorti un serpent de mer (2): « Faut il en finir avec la psychanalyse ? » L’article constatait un net recul de la pratique dans le monde anglo-saxon, mais une curieuse persistance dans notre beau pays. En dépit de revues de la littérature professionnelle, réalisées au sein de l’INSERM, mettant en évidence la supériorité des techniques cognitivo-comportementales. Bien qu’il « n’existe guère de preuves rigoureuses de l’efficacité de la psychanalyse dans le traitement des pathologies psychiatriques ». En une époque où l’essai contrôlé versus placebo domine l’économie de la santé, il semble s’agir là d’un défaut majeur…. Et cette considération même traduit un grave malentendu!  Sigmund Freud (en français Sigismond Lajoie) commença effectivement son cursus dans la sphère scientifique, spécialisé en neurophysiologie. Mais, s’étant marié, confronté à la nécessité de rapporter au foyer conjugal de quoi vivre décemment, il bifurqua philosophe. Le scientifique a l’obligation d’établir que ses assertions ne sont pas réfutables de façon expérimentale. Le philosophe, lui, s’autorise à dire ce qui lui passe par la tête sans avoir à démontrer quoi que ce soit. L’un relève de la preuve, l’autre de l’adhésion.
Ce choix existentiel va s’avérer un éclair de génie. Au lieu de végéter médiocrement dans une carrière universitaire, il s’élèvera au niveau du légendaire, comme le penseur ayant introduit le sexe dans la civilisation… Non pas le sexe-gaudriole, mais le sexe-objet d’étude, le sexe-déterminant psychologique.

Ne pas confondre cependant son livre paru en 1905, « Trois essais sur la théorie sexuelle », avec le Kama Sutra. Sauf, pour l’adolescent pré-pubère, à connaître la déception de l’achat inutile. À cause de Freud, désormais, tout parapluie (pré)tend vers le phallus, tout porte-monnaie s’ouvre à devenir équivalent vaginal…. Et si votre petite fille est muette, il s’agit, à n’en pas douter, d’un complexe de castration lié à son absence de pénis…

On doit à l’oncle Siggy un vocabulaire très particulier, apparaissant aux endroits les plus inattendus, du jacassin de l’animateur télé à la rubrique « santé-forme » du magazine féminin, voir même chez l’éditorialiste politique. L’utilisation habile de ce jargon permet, lors des dîners en ville, de transformer les portes ouvertes en arcs de triomphe, le causeur accédant ainsi au statut d’expert ès âme humaine.

Dès lors, il sait dépister derrière le contenu manifeste des propos, les sous-jacentes sexuelles latentes, repérer les arcanes de la libido dans l’inconscient d’autrui. Grâce à lui, les emmerdeurs de la vie quotidienne accèdent à des qualificatifs plus objectifs, le voisin grincheux se révèle parano, le gamin turbulent pervers-polymorphe, le rival en affaires narcisse-manipulateur. Le caractère profondément œdipien des dernières élections présidentielles, où la candidate ayant tué le père affronta son challenger ayant (jadis) épousé la mère ne lui a pas échappé.

Penseur radicalement révolutionnaire, Freud demeurait 19 Berggasse, à Vienne, dans un appartement propret, fleurant bon l’encaustique, avec napperons en dentelle sur les fauteuils et vitrines à bibelots antiques. Un tel décalage s’observe encore chez bon nombre d’intellectuels contemporains, prêts à foutre la société cul par-dessus tête, mais observant, dans leur intimité un strict rituel petit bourgeois. Cela s’appelle l’ambivalence.
Substituant le dos du vicaire au vit du docker, Freud se lance dans la contrepèterie, exercice que poursuivra, avec un talent consommé, l’un de ses épigones, le psychiatre Jacques Lacan. Il identifie, sous les glissements de la langue, l’existence du Refoulé, placard ou quiconque évacue ses pulsions les plus gênantes. La parapraxis, nom officiel du lapsus freudien, était née. Par les jeux de mots, il allait accéder aux maux du Je.

Praticien installé en exercice libéral et chef d’école redouté, il publia ses observations cliniques les plus marquantes en corpus doctrinal. Sans hésiter à les optimiser largement. Les positivistes modernes ont parlé de fraudes mystificatrices. C’est oublier qu’à la différence du besogneux scientifique prisonnier des faits, le philosophe bénéficie de toutes les latitudes pour plier le réel à sa théorie, et prendre ses désirs pour des réalités.
Sur la plupart de ses portraits, Freud exhibe un cigare, évident symbole phallique. Il mourut, le 23 septembre 1939, d’un cancer de la mâchoire. Fumer nuit gravement à la santé.

Il demeure, pour la postérité, l’initiateur de la psychanalyse. Pour certains esprits chagrins, la seule maladie qu’on croit être une thérapeutique.

 

Jean-Paul Demarez

(1) L’Express n°3814-3815 du 8 au 21 août 2024
(2) Serpent de mer: en langage journalistique, information non saisonnière (différence avec le marronnier, qui, lui, apparaît chaque année à pareille époque), utilisée pour meubler les pages en  période estivale, exemples :Le salaire des cadres, L’immobilier à Paris, Les Francs maçons ……
Photo: ©Jean-Paul Demarez (bibelots achetés au musée Freud, voir aussi article Lottie Brickert)
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6 réponses à Freudaines

  1. Yves Brocard dit :

    Cher docteur Demarez
    La raison principale des attaques contre la psychanalyse est que les laboratoires pharmaceutiques font tout pour éliminer les thérapies qui n’utilisent pas de médicaments !!! La disparition du remboursement des médicaments homéopathiques du laboratoire Boiron en est un exemple : ils étaient vendus très peu chers ! Si pour certains de ces médicaments ils ne faisaient pas de bien, je n’ai jamais lu qu’ils faisaient du mal, et c’est cela qui aurait pu justifier cet arrêt de remboursement, et de commercialisation ! D’où le déficit de la sécurité sociale et la déliquescence du système de santé français, qui était pourtant excellent.
    Si la psychanalyse fait du mal aux patients, là il faut attaquer. Mais ce n’est pas votre angle d’attaque. Et pour cause !
    Elle ne fait pas de mal au portefeuille de l’Etat car ce sont les patients qui paient tout de leur poche. On ne peut donc pas la museler en supprimant les remboursements ! Zut alors !

  2. A propos de l’image d’illustration.
    Test de Rorschach : Freud ou l’abbé Pierre ?

  3. tristan felix dit :

    Certes, certes, cher André Lombard, il n’en reste pas moins vrai que, allez, disons une fois sur deux a minima, les séances de psychanalyse, de même que l’ostéopathie fluidique, sont une source de revenus considérable pour les praticiens et par là-même un appauvrissement supplémentaire considérable d’un point de vue économique pour qui s’y est aventuré en dépit de son faible salaire. Ainsi un ouvrier (il en existe encore) en burn out car réduit à la misère et esclavagisé par son patron soit n’aura pas accès à la psychanalyse en raison de sa classe sociale (cette thérapie s’adresse essentiellement à la bourgeoisie), soit ira s’y faire plumer davantage encore. Certains même pourront substituer à leur addiction obsessionnelle celle d’une thérapie éternelle. Il se trouve que je connais quelques cas d’expériences psychanalytiques pathétiquement destructrices faute de réorientation vers l’allopathie, et financièrement éprouvantes. Il existe toutefois des psychanalystes transfuges jungiens ou autres tout à fait aidants.
    Quant à la phallusation généralisée de la représentation du réel, elle en devient si caricaturale qu’il suffit d’exhiber un sexe dans l’art contemporain pour exprimer le génie. Je pratique certes, hélas, la contrepèterie mais pour jouer comme au hasard à pile ou face. En tout cas, ces soirées de Paris sont presque toujours stimulantes. Merci !

  4. Philippe PERSON dit :

    Si vous voulez découvrir un Freud inédit, je vous conseille de lire « Freud et le cigare fatal » (Le Cherche-Midi 2024). Frédéric Pagès a retrouvé, dans l’armoire de Lairière*, un texte de Jean-Baptiste Botul. Comme chacun sait, le philosophe pratiquait la taxi-thérapie. En 1938, Freud en voyage à Rome se laisse voiturer par Botul. Celui-ci essaie de le convaincre d’arrêter de fumer le cigare, la passion de Freud. Le docteur viennois y voit aussi un moyen de supporter son cancer à la mâchoire…

    * Lieu de naissance de JB Botul, comme nul ne l’ignore…

  5. Dupuis. Bernard dit :

    Un point remarquable :la psychanalyse est la source de commentaires,discussions,colloques,congrès,publications,invectives,sans fléchissement depuis plus d’un siècle.Qui peut en dire autant ? Preuve que la déconologie transcendentale habillée d’un vocabulaire pseudo scientifique et obscur stimule et que la gogosphère demeure le plus vaste et rentable marché de la planète.

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