L’histoire commence par un conte de fée. Un beau jour de de 1987, le peintre abstrait David Malkin et sa femme Ruth, arpentant comme souvent les galeries de la Rive gauche, poussent la porte d’une toute nouvelle galerie, rue Guénégaud, presque au coin de la rue Mazarine. Rien d’étonnant à ce qu’un peintre fréquente les galeries, mais le banal événement va se révéler providentiel. Jean-Pierre Arnoux vient d’ouvrir sa galerie l’année précédente, et le dialogue s’engage entre les trois personnages, un peu à la façon d’une nouvelle d’Henry James: le galeriste qui collectionne les « peintres abstraits des années 50 et 60 » et veut les défendre dans ce lieu, et ce couple visiblement si uni (cela se voit du premier coup d’œil). Lui un homme frêle à la barbe blanche, aux cheveux blancs un peu fous, au regard vibrant, elle visiblement plus jeune que lui, et le jeune galeriste, haute stature et moustache, vont s’apprivoiser. Deux ans plus tard, la galerie organise la première de ses expositions dédiée au peintre de soixante-dix-sept ans, qui ne pensait plus intéresser le monde de l’art parisien (tout à fait comme Henry James à sa mort, désespéré d’être si peu reconnu, incapable de pressentir sa gloire posthume). Mais la rencontre de ce fameux jour rue Guénégaud va tout changer pour David Malkin.
Outre la première exposition rue Guénégaud, la relation du couple avec Jean-Pierre Arnoux deviendra de plus en plus amicale, et le galeriste découvrira par quel trajet vertigineux le couple est arrivé jusqu’à sa porte. Imaginez le dernier de sept enfants, né le 23 mars 1910 à Akkerman, près d’Odessa, en Bessarabie (aujourd’hui l’Ukraine). L’an dernier, les deux filles de David et Ruth, Yona et Shira, ont ouvert un site reconstituant les étapes de la légende paternelle (1): alors que le judaïsme interdit la représentation humaine, le petit dernier arrache son consentement à son père pour fréquenter à douze ans académie et atelier. Après la guerre de 14-18, la Bessarabie devenue roumaine, David part pour la Palestine sous mandat anglais, découvre l’âpreté du kibboutz (comme Amos Oz), le quitte pour vivre son art à Jérusalem en 1938. Le voilà célébré comme sculpteur. Trois ans plus tard, il s’engage comme volontaire dans l’unité juive de la VIIIe armée britannique, puis intègre l’Académie des Beaux-Arts de Florence. Étape cruciale de ce parcours marqué par l’Histoire: il délaisse la sculpture figurative pour sculpter des lettres hébraïques, et il épouse sa seconde femme, Maddalena devenue Ruth, convertie au judaïsme.
Naturellement, le couple décide d’aller vivre en Israël, mais après un détour par Paris, où deux sœurs de David ont échappé à la Shoah. Ils n’en partiront jamais, se sentant d’abord bien accueillis et intégrés. Mais trouvant le milieu peu intéressé par la sculpture, David fait sa grande conversion, abandonnant peu à peu la sculpture pour la peinture abstraite (La Grande chaumière, Académie André Lhote). Ce qui ne suffira pas à lui assurer la gloire au cours des années qui passent. Il faut dire que Paris est peuplée par tant de noms prestigieux…
C’est alors que la rencontre avec Jean-Pierre Arnoux va changer son destin, lui qui veut défendre ce qu’il appelle « la seconde École de Paris ». Une appellation un peu vague, étant donné que « l’École de Paris » ne définit pas à proprement parler un style de peinture, mais des périodes: on considèrerait qu’elle recouvre trois époques, à commencer par les années 20, avec l’arrivée depuis le début du siècle d’étrangers comme Modigliani, Picasso, Chagall, Zadkine et autres. Puis Montparnasse succède à Montmartre durant l’entre-deux guerres et la guerre, avec par exemple Manessier, Pignon, Villon. Puis viendrait après-guerre ce que Arnoux appelle « la seconde École de Paris », celle qu’il veut défendre, trouvant que le « pop art » et autres ont fait trop d’ombre à cette génération incluant W.Lopuszniak, Wanda Davanzo, Paul Ténèze , Oscar Gauthier, Jacques Germain, Serge Poliakoff et consorts. David Malkin va se glisser comme un gant dans cette avant-garde abstraite des années 50, lui qui fut salué dès 1959 parmi « L’École de Paris et les peintres juifs ».
L’exposition actuelle couvre toute l’œuvre abstraite de ce David ayant dû faire un si long trajet, et attendre jusqu’à plus de soixante-dix-ans pour connaître la consécration parisienne. Lorsqu’on pousse la porte de cette galerie toute blanche, on embrasse d’un seul coup d’œil cinquante ans de peinture. Ce ne sont pas tellement les diverses manières du peintre qui nous frappent d’emblée, mais la ronde des couleurs, s’imposant tantôt de manière douce et transparente, tantôt de manière plus affirmée, déclinant une grammaire géométrique illimitée, une intériorité chantante héritées de son enfance de petit bessarabien juif. D’autant plus que le galeriste a choisi non pas de présenter les tableaux par période, mais par affinité picturale.
Lise Bloch-Morhange
« né le 23 mars 2010 »
chacun peut corriger 1910, mais peut-être faut-il l’écrire.
Amicalement et merci pour vos textes.
C’est corrigé, merci à vous. PHB
Quel parcours incroyable et quel bel artiste. Merci pour cet article très intéressant, comme toujours, Lise BM.