La très jeune fille avait déjà été soubrette. Maria Benz, figurait à ce titre sur une affiche du restaurant allemand Drei Könige. Plus tard à Paris, après un passage parmi les artistes et intellectuels du Bauhaus, elle gagna aussi sa vie au Grand Guignol, Cité Chaptal. On ne sait pas à coup sûr si elle y joua des personnages de femmes décapitées, violées, mutilées, dévorées par un puma ou plus simplement si elle tint un rôle de figurante dans des numéros d’hypnose, alors en vogue. Toute la biographie de Nusch (surnom attribué par son père et que l’histoire artistique a retenu) est bien compliquée à établir puisqu’en dehors des photos de Man Ray ou encore de portraits de Picasso, elle n’a guère laissé de traces définitives, exception faite également de sa tombe dans la quatrième division du Père Lachaise. Elle y repose sans son mari le poète Paul Éluard inhumé tout à l’opposé dans le saint des saints du carré communiste. Sa vraie histoire commence avec Éluard d’ailleurs, comme il en ressort d’un livre qui vient de sortir chez Seghers et rédigé par Joana Masó enseignante en littérature française à l’université de Barcelone.
Malgré le manque de pièces à conviction autour des œuvres d’art dont Nusch fit l’objet, l’auteur s’est néanmoins appliquée à en faire le portrait, à lui donner la parole, via une série de déductions. Car la période surréaliste qu’elle traversa de 1930 jusqu’à son décès brutal en 1946, était surtout une affaire d’hommes. Joana Masó insiste sur ce point, Nusch et ses semblables étaient des accompagnatrices, des sujets de photographies érotiques, mais on ne leur donnait ni le micro, ni le pinceau, ni le stylographe. Sauf André Breton qui lui confia une surface (comme à Valentine Hugo) dans quelques-uns de ses pliages collectifs, des « cadavres exquis ». Mais c’est bien peu de choses.
« Sous le surréalisme, les femmes », est un livre qui s’attache à cet être quasi translucide dont Éluard fut très épris, donnant à ses poèmes dédiés, une substance avantageuse. Comme dans son texte « Dors », où il écrit, en 1931: « Nous nous aimons parmi les déchets de la vie éveillée: salles d’école, querelles, l’argent menaçant, présences habituelles, la cuisine, la table, le travail, les voyages, les habits. (…) Cette fille que je découvre en m’endormant, comme une étoile noire dans l’oubli du jour, ne connaît d’elle-même que ce que j’ignore de moi. » Ils formaient un vrai couple, et même un couple voyageur qui fit nombre d’escales, de l’Île de Sein à Cadaquès chez Dali et Gala, en passant par les Cornouailles et bien sûr sur la Côte d’Azur avec toute la bande, dont Dora Maar, Picasso, Man Ray ou encore Lee Miller.
Belle histoire tout de même, beau trajet sur lequel Joana Masó se montre plus prudente que d’autres quant aux détails. Ainsi, quand il s’agit de survivre les jours où Le Grand Guignol était de relâche, l’auteur ne se hasarde pas à dire que Nusch se prostituait, mais se limite à dire qu’il y avait ce type d’activités dans le quartier. C’est justement à l’âge de vingt-quatre ans, alors qu’elle traînait à l’aube le 22 mai 1930, aux abords des Galeries Lafayette, que sa vie bascula vers une expérience bien plus intéressante. Elle y fut abordée par les poètes René Char et Paul Éluard qui flânaient dans le coin à la recherche d’une étape de leur destin. Ils lui offrirent à manger et la façon dont elle dévora ce qu’on lui commanda, démontra qu’elle ne devait pas manger tous les jours à sa faim, avec une taille de guêpe comme unique bénéfice.
Tout le terrain biographique de Joana Masó est en l’occurrence aplani par un terreau de suppositions et non de certitudes reprises, ce qui est tout à l’honneur de l’auteur. Dont le propos constant est de pointer -sinon dénoncer-, l’usage que les surréalistes firent des femmes et aussi le commerce, puisque Man Ray commercialisait ses photographies érotiques sans que l’on sache exactement s’il y avait un arrangement moral et financier entre l’auteur et ses sujets. Cette dernière biographie évite à dessein de publier les clichés trop équivoques pour cette raison et il y est considéré que les humains portraiturés en général, pourraient bien être considérés, à l’aune du 21e siècle, comme des ayants droit. Le propos général est teinté de féminisme mais, cent ans plus tard, au moment où le Centre Pompidou célèbre le surréalisme, la mise au point est pertinente.
Tout cela donne un livre bien plaisant à parcourir, avec deux beaux portraits de Nusch par Picasso, un dans le genre cubiste et l’autre en mode Marie Laurencin. Il apporte une critique bienvenue aux légendes, où l’amour fusionnait trop facilement avec l’emprise. Nusch semble-t-il, consommait un peu d’éther, c’était sans doute pour compenser quelque chose. Une hémorragie cérébrale scella en tout cas la fin de son appartenance au casting d’un mouvement qui aujourd’hui encore est une référence.
PHB
Joana Masó, « Nusch-Éluard, sous le surréalisme les femmes », Seghers 23 euros
Photos: ©PHB
Merci de nous faire connaître ce livre. J’ai hâte de le lire et découvrir ce que l’auteure (ou autrice) nous dit de nouveau.
Outre sa contributions aux « Cadavres exquis », initiés par André Breton, Nusch fit des collages, tout à fait dans le ton surréaliste. On en connait sept, tous figurant des jeunes femmes nues. On peut les voir ici : https://lapetitemelancolie.net/category/collage/nusch-eluard-collage-photomontage/ Elles figurent aussi dans une biographie sortie en 2010 par Chantal Vieuille : Nusch, Portrait d’une muse du surréalisme, à l’écriture un peu maladroite.
En tous cas, madame Masó a bien de la chance de bénéficier d’une telle recension.
Nota : ayants-droits
Bonne journée
Merci à Philippe Bonnet et Yves Brocard de nous faire revivre cette période délirante et féconde …L’expo à Beaubourg nous semble frileuse .. A quand la vraie révolution vraiment surréaliste , et « intellectuelle naturellement …. »? ..