Littérature selon François

Quel est le point commun entre Dante Alighieri, Michel Houellebecq, Thérèse d’Avila, Blaise Pascal, Paul Claudel, Georges Bernanos, Christian Bobin ou Sylvie Germain? Ces écrivains ont tous puisé l’inspiration dans la culture chrétienne. Littérature et christianisme, c’est une vieille histoire. Le Pape François a récemment publié un écrit qui fera date, une « Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation ». En premier lieu destinée aux personnes engagées dans une formation sacerdotale, ce texte renouvelle l’approche de la littérature par l’Église et s’adresse finalement à tous tant son contenu est universel. Il faut d’abord dire que l’Église catholique a longtemps entretenu une volonté de contrôler la littérature, n’hésitant pas à condamner les œuvres qu’elle jugeait contraires à sa doctrine. Ce n’est qu’en 1966, que le Pape Paul VI a supprimé l’index, c’est-à-dire la liste des livres jugés pernicieux et que les catholiques n’étaient pas autorisés à lire. Rien de tel ici. C’est même le contraire. Le texte proposé est avant tout une ouverture sur le monde et sur le pouvoir de la littérature, que celle-ci soit ou non d’inspiration chrétienne, pour accéder au cœur de l’être humain.
Le point de vue est clair. Loin d’être une simple distraction ou un divertissement, la littérature est un moyen par lequel chacun peut se rapprocher de la vérité. Elle offre une forme d’éducation silencieuse, une manière de se confronter aux grandes questions existentielles: la vie, la mort, le sens de l’existence, la souffrance, la rédemption.

La lettre insiste sur la capacité unique de la littérature à permettre au lecteur de se mettre à la place des autres, d’habiter temporairement leurs vies, leurs pensées et leurs émotions. Lire une œuvre littéraire, c’est vivre à travers les expériences d’autrui, heureuses ou douloureuses, et entrer en empathie avec un auteur. Et le pape de citer Borges: Lire, c’est « écouter la voix de quelqu’un ».

Cette immersion dans l’altérité, dans la diversité des histoires humaines, est une invitation à élargir son propre regard, à dépasser les préjugés et à accueillir l’autre dans sa complexité. Mieux encore, lire c’est amplifier une œuvre en la faisant résonner avec sa propre existence. « Contrairement aux médias audiovisuels, peut-on y lire, (…) le lecteur est beaucoup plus actif dans la lecture d’un livre. Il réécrit en quelque sorte l’œuvre, l’amplifie avec son imagination, crée un monde, utilise ses capacités, sa mémoire et ses rêves, sa propre histoire pleine de drames et de symboles ».

L’individualisme et la culture de l’immédiateté étouffent la réflexion et la profondeur d’esprit. Or, la littérature est un antidote à la société de l’instantanéité, car lire est un acte de patience, de contemplation et d’humilité. Entrer dans le monde d’un auteur demande du temps, suppose de s’ouvrir à une histoire, à une langue et à des idées qui ne sont pas les nôtres. Cette démarche est à contre-courant d’une culture qui valorise la rapidité et la consommation immédiate d’informations. Promouvoir la lecture, en particulier des grandes œuvres littéraires, évite selon François, de « tomber dans une efficacité qui banalise le discernement, appauvrit la sensibilité et réduit la complexité. » Au-delà, la littérature peut également jouer un rôle essentiel dans la lutte contre les diverses formes de violence, d’injustice et d’exclusion. En nous exposant à des récits de marginalisation, d’oppression et de souffrance, elle réveille notre conscience sociale et nous pousse à l’action. Elle incite à ne pas rester indifférent aux douleurs du monde, et à s’engager pour la justice et la paix.

On ne sera pas surpris que la conclusion de la lettre insiste sur la puissance spirituelle de la littérature. Loin d’une dimension à proprement parler religieuse, il y a là l’idée d’une ouverture sur l’invisible, sur le mystère de la vie et sur la transcendance. De nombreux écrivains, même non explicitement religieux, ont su exprimer des interrogations métaphysiques profondes à travers leurs récits. La quête de sens, la recherche d’absolu, le désir de réconciliation et de paix intérieure sont des thèmes qui traversent les grandes œuvres universelles.

Document visionnaire qui met en lumière la puissance de la littérature pour façonner les esprits et les cœurs, cette lettre rappelle finalement que lire n’est pas seulement un acte intellectuel, mais aussi une démarche spirituelle et éthique. En redécouvrant la valeur de la littérature, ce texte nous invite à prendre part à une éducation intégrale qui nourrisse à la fois l’âme et l’esprit, en nous rendant plus conscients, plus empathiques, et plus engagés dans le monde qui nous entoure.

 

David Clair

 

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