Quand la mère de Colette reçut un exemplaire du roman « La vagabonde », elle se réjouit et en profita pour flétrir au passage ceux qui n’étaient pas « dignes de lécher la boue » des souliers de l’auteur, c’est-à-dire ceux de sa fille. Cela se passait en novembre 1910. Sidonie (1835-1912) se montrait de la sorte satisfaite que sa Colette se comportât en femme affranchie et non-plus en gratte-papier de l’ombre pour le compte de son premier mari. Bien qu’elle reconnaisse qu’il avait fallu en passer par là, c’est le paradoxe même d’une émancipation. Colette, quant à elle, avait attendu la disparition de sa mère avant d’écrire sur elle un texte chargé de sentiments et de fascination. Elle n’était pas allée la voir depuis longtemps dans sa campagne non loin de Montargis, à Châtillon-Coligny, et avait même séché l’enterrement. Mais d’une certaine façon, en publiant « Sido », elle lui insufflait une nouvelle vie, laissant libre cours à l’expression d’une forme d’héritage intérieur.
Une première version avait été publiée en 1930, et une toute dernière, dans sa version complète, est sortie il y a peu au Livre de Poche, avec une préface remarquable de l’académicien Antoine Compagnon. Lequel prétend que la vraie « Sido » ne devait pas être aussi aimable que le raconte Colette, vu qu’elle n’avait de cesse de répéter à son mari et à ses enfants que les plus belles années de sa vie remontaient à la période vierge de toute progéniture. Il n’empêche que c’était une sacrée personnalité qui ne pouvait que convenir à sa fille, personnage à « l’invincible narcissisme » selon Compagnon, au génie toujours en mouvement, avantage qui ne lui laissait pas le temps de vieillir. La vie devait d’ailleurs s’en venger. En tout cas, son dernier préfacier insiste sur le fait que « Sido » avait joué un rôle important dans la carrière de sa fille, que ce soit pour l’encourager (dans la voie littéraire) ou la décourager sur des activités de traverse (scène, journalisme…). Elle faisait office de stimuli et c’est ce qui explique qu’avec sa plume, Colette la rendît immortelle. « Sido » était un diminutif écrit Antoine Compagnon, mais aussi un tétragramme, sorte d’assemblage à l’origine divine.
Dans « Sido », Colette laisse libre cours à ses souvenirs de petite fille observant sa mère au jardin, l’écoutant parler aux fleurs, flairant des signes météorologiques dans le comportement des plantes ou dans le mouvement des pattes du chat. Si l’oignon avait trois robes, trois « pelures micacées », cela signifiait qu’il faudrait habiller la pompe à eau de paille, disait ainsi Sido à qui voulait l’entendre, notant ce jour-là que la tortue s’était déjà enterrée et que les écureuils, « qui savent toujours tout » avaient déjà fait provision de noix et de noisettes.
Il faut lire Colette expliquer que le jardin avait des voisins mitoyens et que tous ces jardins communiquaient entre eux comme dans un espace radiophonique dont seules Sido et Colette pouvaient comprendre les ondes ordonnées. Elle s’échappait parfois à l’aube pour aller écouter les sources. L’une « presque invisible, froissait l’herbe comme un serpent, s’étalait secrète au centre d’un pré où des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence ». Si la première source avait « un goût de feuille de chêne », la seconde exhalait le « fer et la tige de jacinthe ». En les évoquant de sa plume, Colette se souhaitait à elle-même que leur saveur emplisse sa bouche « au moment de tout finir ».
Quelle maman tout de même était cette Sido, laquelle échangea une fois sa fille, alors bébé, avec le nouveau-né de son amie Adrienne. Ce qui fait que Colette l’apprenant sur le tard, avouait avoir en tête l’image d’un « sein brun » étranger avec « sa cime violette et dure ». La transcription des souvenirs de Colette à cet égard sont toujours à l’avenant, c’est-à-dire pleins de surprises et garnis d’enseignements, sur une enfance dont on finirait par croire qu’elle avait toutes les saveurs du paradis, le goût des confitures et le parfum des mystères que sa mère lui révélait. Chaque anecdote compte dans cette merveilleuse addition, comme ce jour où « Sido » offrit à un garçon de six mois en guise de sucette, une rose cuisse-de-nymphe-émue, qu’il massacra de ses petites mains. Devant une mère ravie et une fille jalouse.
Colette met le nom de sa mère entre guillemets. Il paraît que ce terme viendrait du nom de son inventeur (Guillaume/Guillermet), un imprimeur du 13e siècle. Ce double signe est utilisé pour isoler un mot mais aussi pour le valoriser. C’est probablement le cas dans « Sido » . Comme le souligne Antoine Compagnon, « aucun écrivain n’a métamorphosé sa mère en une divinité de légende à la manière de Colette ». Avec un style si bon que l’on se croirait toujours en été avec des effluves tardives de pélargoniums.
PHB