Les dentiers de la mer

Tandis que Louis XIII posait pour Philippe de Champaigne en 1635, quelque part dans les environs du Groenland, naissait un tout petit requin. À la sortie, il ne mesurait en effet avec ses frères, que 90 centimètres. Et le jour où il fut pêché pour évaluation scientifique, au 21e siècle, il mesurait quatre mètres, ce qui permit aux chercheurs d’établir que ce vertébré ne circulant qu’en eaux froides, affichait 400 ans sous la toise. On ne connaît cette espèce par observation que depuis 30 ans et l’on ne sait pas encore s’il en existe de plus âgés, mais quatre siècles, hein, cela fait quand même un bail. Leur cerveau avec tout ce temps a dû en empiler des données. Les spécimens qui croisent toujours dans les deux à trois cents mètres de profondeur, ont connu la coque des galions et celle des sous-marins nucléaires. Une des caractéristiques des requins du Groenland par ailleurs, est qu’ils vont très lentement, un kilomètre par heure environ, ce qui complique pour eux la quête d’un déjeuner. Ce qui fait que parmi leurs proies, ils choisissent notamment des phoques assoupis. Toujours est-il que Louis XIII de son côté, fils d’Henri IV et de Marie de Médicis, n’a vécu que 42 ans jusqu’en 1643, au château Neuf de Saint-Germain-en-Laye. C’est la rançon d’une vie à bride abattue.

Car dans à peu près toutes les langues, l’on sait dire que celui qui va lentement va sainement et donc longtemps. Jouit-on davantage de l’existence pour autant, la question demeure. Il faudrait pour cela croiser l’opinion du requin sus-cité avec celle d’un papillon ordinaire dont la longévité, avec un peu de chance et pas de pollution, peut atteindre quelques mois soit bien moins qu’une législature, même par les temps qui courent. D’ailleurs à cette aune on pourrait supposer que c’est le député se mouvant le plus lentement, voire n’hésitant pas à piquer un petit somme en séance, qui aurait le plus de chance d’enchaîner les mandats au-delà du siècle, mais c’est une autre histoire.

Quand même, l’homme a beau être le plus futé parmi les vivants, son espérance de vie même améliorée avec la science, ne permet à aucun de ses représentants de raconter un repas pris avec Louis XIII et de détailller les gourmandises sucrées qu’il était supposé adorer.  C’est un peu vexant de se laisser doubler sur ce terrain par des bestioles comme le homard ou le ara lesquels, sans égaler le record des requins du nord, ont le temps de s’octroyer de longues retraites sur les fonds sablonneux ou sur les branches de la forêt tropicale. Leurs séjours au long cours, se font c’est à souligner, sans toucher de pension indexée sur l’inflation.

Au mois de novembre 2013, les colonnes du Figaro faisaient état d’une belle bourde scientifique. Des chercheurs ayant voulu déterminer l’âge d’une palourde l’ont, « pensant bien faire » comme l’inspecteur Daniel Esperanza dans « La septième cible », tuée net en 2006, alors qu’elle venait de dépasser 400 ans. Ayant quelques années plus tard recompté les stries du coquillage, ils ont fini par réajuster (c’était l’objet de l’article du Figaro) l’âge canonique du bivalve à près de 500 ans. Soit une sortie de maternité que l’on peut situer à peu près en même temps que Christophe Colomb découvrant l’Amérique. Les scientifiques avaient baptisé leur sujet (également décrit comme une praire), avec le nom de la la dynastie Ming, toujours en état de marche au moment supposé de l’accouchement subaquatique.

Encore une espèce qui venait du nord, d’Islande apparemment. On sait bien que le froid conserve, y compris le champagne se bonifiant dans les soutes des épaves coulées. Comme les 162 bouteilles remontées depuis la mer Baltique en 2010, ayant donné lieu à des dégustations aussi émouvantes que convaincantes, après avoir dormi toutes ces années à température constante, dans de l’eau peu salée et sous une pression à cinq bars. Le bateau avait sombré 170 ans auparavant, au large de la Finlande.

C’est là notre seul réconfort mais c’est déjà pas mal: en dégustant un vieux champagne ou une vieille fine, notre palais a accès à une matière biologiquement vivante, susceptible de nous raconter de très vielles histoires. À servir avec des praires fraîches et non celles qui ont bien mérité de profiter leurs vieux jours dans les lobbys océaniques, là où croisent des requins à moustaches très blanches.

PHB

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2 réponses à Les dentiers de la mer

  1. Virginie Berthat dit :

    Merci pour ce billet toujours si agréable à lire ! Drôle et instructif

  2. Alexandra Oubrier dit :

    Jolie réflexion sur le temps… Carpe diem !

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