On part rarement se faire embaumer, sauf s’il s’agit bien sûr d’aller chez le parfumeur, car le verbe en question possède un double sens. Dans le premier et funèbre cas, quand une entreprise procède à cette opération, elle a l’accord des proches, le défunt ne se présentant pas spontanément. Mais il se trouve qu’un narrateur, à qui l’écrivain Edgar Poe avait prêté sa plume, décida après une nuit compliquée, d’aller justement se faire embaumer, ce qui est moins courant on l’admettra, que d’aller se faire voir, se faire cuire un œuf ou bien pire encore. Dans la « Petite discussion avec une momie », le protagoniste (sans nom) décide dans l’ordre, d’écrire quelques notes et de quitter sa femme qualifiée de « mégère », pour cause (surtout) de nausées provoquées par le dix-neuvième siècle et aussi en raison de l’anxiété relative à l’identité du chef d’État qui serait élu en 2045. Sur ce dernier point, dans maints pays et pas seulement en France, on peut effectivement comprendre qu’un bon embaumement à l’égyptienne ou peu importe, une fois « rasé et le café avalé », puisse enfin apporter sur au moins quelques siècles, un peu de sérénité sans passer par les cases électorales.
Publiée en 1845, dûment traduite par Baudelaire (1821-1867) douze ans plus tard, cette nouvelle de Edgar Allan Poe (1809-1849) entre donc un peu dans l’actualité côté système nerveux. Un peu d’exaspération due au siècle et à ses avanies, additionnée de l’angoisse du scrutin: le cocktail toxique est en effet partout sauf dans quelques pays lointains où la masse cérébrale des dirigeants pèche par atrophie et déficiences variées. Toujours selon cette nouvelle de Poe, il fut un temps, dans l’Égypte antique, où l’on pouvait décider de prendre de très longues vacances en requérant un embaumement au long cours, avec la même simplicité que dans un bar à vernis.
Pour cette histoire de seulement quelques pages, Poe fait preuve d’humour ce qui rend son récit encore plus digeste. Ainsi son personnage « ayant achevé un repas frugal et mis son bonnet de nuit avec la sereine espérance d’en jouir jusqu’au lendemain midi », fut hélas contrarié dès son « troisième ronflement ». Car l’on venait de lui livrer un message de son ami le docteur Ponnonner, le pressant de venir sans attendre chez lui afin de délivrer de ses bandelettes une momie antique. Une aubaine qui ne se refuse pas.
Nous n’avons jamais vraiment d’égards pour les inhumés, mais, passé un certain délai, au nom de l’histoire, il semble que l’on peut tout se permettre, ce qui fut fait, sachant que le corps exploré n’avait pas été éviscéré et possédait encore un cerveau. On vidait le ventre par incision et on faisait la même chose pour le cerveau via les narines. Et après un temps d’attente, l’embaumement pouvait débuter en milieu assaini.
On finit cependant par comprendre que le maintien des organes essentiels était dû au fait que le dignitaire concerné comptait réapparaître, une fois son temps de pause révolu. Ce que le quasi-fossile ne savait pas, c’est que l’événement se produirait en raison de l’initiative nocturne de vieux gamins du 19e siècle, peut-être sous l’empire mentionné du brown stout, lesquels gamins décidèrent, pour rigoler, d’électrocuter la momie. Ce qui eut pour effet de la réveiller, de l’entendre se présenter sous le nom de Allamistakeo, précisant en outre qu’il était comte. Tandis qu’il frissonnait, le docteur Ponnonner alla immédiatement à sa garde-robe afin de rhabiller le ressuscité avec « un habit noir de la meilleure coupe de Jennings, un pantalon de tartan bleu de ciel à sous-pieds, une chemise rose de Guingamp, un gilet de brocart à revers, un paletot-sac blanc, une canne à bec de corbin, un chapeau sans bords, des bottes en cuir breveté, des gants de chevreau couleur paille, un lorgnon, une paire de favoris et une cravate cascade », comme il sied aux gens distingués.
Ainsi vêtu, Allamistakeo put ainsi raconter les grandeurs de son siècle, se moquant de la petitesse des chemins de fer modernes, comparativement aux moyens de son époque qui permettaient de déplacer des « temples entiers ». Et expliqua surtout les vertus de l’embaumement consistant à prendre congé ce qui dans ce cas également, se faisait loin des proportions de quatre jours de RTT, même prolongés de trois jours de gastro-entérite bidon.
Mais enfin, l’idée était bien là, celle de prendre un peu de distance, de ménager son cerveau des avatars du quotidien, de laisser « reposer la pâte » enfin, ainsi qu’il est convenu d’exprimer le besoin technique d’opérer une pause. Le tout servi par Edgar Allan Poe.
PHB