Musée Fragonard de Maisons-Alfort : plongée dans le règne animal 

Envie de tout savoir sur le règne animal et ses pathologies ? Mettez le cap sur l’école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort et son musée Fragonard. On connaît les scènes galantes de Jean-Honoré Fragonard, l’un des peintres les plus renommés du XVIIIe siècle. On connaît moins son cousin, Honoré Fragonard (1732-1799), tout aussi honorable. Anatomiste réputé, il fut le premier directeur de l’École royale vétérinaire d’Alfort, ouverte en 1766. C’est aussi l’auteur des célèbres écorchés qui sont le clou du musée de cette école auquel il a donné son nom. Pour répondre à des difficultés de la France du XVIIIe (cheptel décimé par des maladies, monde agricole pétri dans des croyances et traditions, paysans fragilisés par des disettes et guerres), une première école vétérinaire royale est créée près de Lyon en 1761. Puis, une seconde est ouverte en 1766 sur le domaine du château d’Alfort. Ce seront les deux premières écoles vétérinaires du monde. Il s’agit de former des hommes utiles –et non des savants- qui mettront leurs connaissances en pratique pour aider les éleveurs à soigner leur bétail et soutenir ainsi l’économie du Royaume. Les disciplines abordées sont anatomie, physiologie, « opérations, pansements et maladies externes », et « maladies internes et médicaments ». L’enseignement vétérinaire repose surtout sur l’observation et l’expérimentation.

C’est ainsi que le « Cabinet du Roy », qui deviendra le musée Fragonard, ouvre lui aussi ses portes en 1766 pour accueillir des éléments d’anatomie, parfois insolites, que les étudiants venaient observer en tant que modèle scientifique. Ses collections ont traversé plus de deux siècles et demi, le cabinet faisant l’objet de déménagements et d’aménagements pour abriter toujours plus de pièces accessibles aux étudiants vétérinaires. En 1991, sous le nom de Musée Fragonard, il a été ouvert au grand public. Ce musée, véritable cabinet de curiosité resté dans son jus XIXe siècle, réunit aujourd’hui sous de grandes vitrines plus de 4.000 pièces dont beaucoup du XIXe siècle. Moulages, résines, bocaux remplis de formol, squelettes, organes desséchés, cornes, dentitions, naturalisations…l’animal était disséqué dans ses moindres détails pour servir d’objet d’apprentissage. Avec ses anecdotes et indications détaillées, l’audioguide fourni à l’entrée du musée est utile pour éclairer la visite.

La première salle, dédiée à la comparaison anatomique entre espèces, permettait aux étudiants de se familiariser avec nombre d’espèces animales, sauvages ou domestiques. On y trouve divers crânes de tortue, de porc, de buffle, poisson, mais aussi des squelettes humains … Les pathologies étaient par exemple étudiées à partir de moulages d’appareil digestifs, d’utérus de jument insufflé… ou encore d’arbres bronchiques, très esthétiques qui ressemblent étrangement à de petits bonzaïs grisonnants. Parmi les raretés, un calcul de 11 kg trouvé dans l’appareil digestif d’un cheval ! Plus loin, dans la section consacrée à la tératologie, les estomacs sensibles détourneront la tête. Les vitrines présentent des animaux naturalisés avec des cas de malformations et de monstruosités que cette science étudie. Ainsi, des veaux à deux têtes, agneaux siamois, chevreau né sans tête, veau à huit pattes, chien cyclope…

En entrant dans la galerie suivante, envahie de divers squelettes d’animaux (girafe, cheval, bœuf, chien, autruche…), on a l’impression d’entrer dans un film de science-fiction. Bien que certains aient été préparés au XVIIIe siècle, les squelettes semblent prêts à se remettre en mouvement tels une armée de morts-vivants déterminés à franchir les murs et à continuer à défier le temps. Les murs de la salle sont tapissés de centaines de moulages d’articulations présentant des déformations, un objet d’étude important à l’heure où l’automobile n’existait pas et où l’animal était un moyen de locomotion et de trait. D’autres vitrines renferment des centaines de mâchoires car c’est par l’usure dentaire que les étudiants apprenaient à déterminer l’âge des bêtes.

Le spectacle continue au fond du musée! On pousse une lourde porte pour se retrouver dans une galerie sombre et climatisée. Là tels des deus ex machina surgissent les célèbres écorchés de Fragonard dans une mise en scène théâtrale. Cavalier sur sa monture (ci-contre), homme debout, fœtus dansant… Cœurs mal accrochés, s’abstenir! Ils sont une vingtaine et ce sont eux qui ont fait la réputation du musée. Déjà connus des naturalistes européens au XVIIIe siècle, les écorchés ont ensuite été oubliés devant les progrès de la science. Aujourd’hui, ils présentent une grande valeur patrimoniale. Fragonard, professeur et préparateur anatomique a créé ces momies humaines et animales entre 1766 et 1771 en disséquant des cadavres. En 2003, avec la canicule, les écorchés qui ont commencé à « suinter » ont été analysés et c’est ainsi que le mystère des techniques d’embaumement de Fragonard a été dévoilé. La visite du musée, à ne pas manquer, vous les révèlera.

 

Lottie Brickert

Musée Fragonard, École nationale vétérinaire, 7 Av. du Général de Gaulle, 94700 Maisons-Alfort.
Ouvert du mercredi au dimanche inclus de 14h à 18h. Tarifs : de 0 à 8 euros (audioguide inclus).
Photos: ©Lottie Brickert
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4 réponses à Musée Fragonard de Maisons-Alfort : plongée dans le règne animal 

  1. Vaillant dit :

    Très intéressant musée avec ces écorchés. De quoi compléter la magnifique Galerie du Muséum de Paris, avec ses squelettes de toutes espèces, fœtus en bocal, dinosaures…
    À découvrir !

  2. Tristan Felix dit :

    Merci pour cet éclairage ! Philippe Bonnet a rendu compte naguère (alors les écorchés se baladaient en liberté dans le musée !) de mon recueil « Observatoire des Extrémités du Vivant » (éd. Tinbad) dans la première partie duquel s’expriment des mal-nés de chez Fragonnard et Dupuytren. Bonne lecture.
    https://www.lessoireesdeparis.com/2017/03/21/la-poesie-au-formol-de-tristan-felix/livres/pbonnet/17917/

  3. Raymond Walter dit :

    Le concepteur du cheval mécanique qui a remonté la Seine lors de la cérémonie d’ouverture des JO a dû s’inspirer du cheval et de son cavalier apocalyptique du musée Fragonard, qui illustre cet article bien intéressant sur un musée à déconseiller aux âmes sensibles.

    • lottie dit :

      D’autres lecteurs m’ont fait la même remarque sur la similitude entre le cavalier de Fragonard et celui remontant la Seine pendant le spectacle d’ouverture des JO. Ma visite du musée Fragonard ayant précédé les JO, j’avoue ne pas y avoir pensé !

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