Il peut arriver qu’au cœur de l’été, on saisisse un livre choisi au hasard dans sa bibliothèque, et que ce livre encore jamais lu soit « Le Roman de la momie » de Théophile Gautier. Voyons… Théophile Gautier… Théophile Gautier… de (très) lointains souvenirs de lycée remontent à la surface… « Capitaine Fracasse » … « Emaux et camées » … Complètement oublié aujourd’hui tout ça… Et l’auteur lui-même, tout autant. Mais pourquoi cette histoire de momie égyptienne ? Tout simplement parce qu’elle renvoie à l’égyptomania de l’époque, ce dix-neuvième siècle lui aussi oublié aujourd’hui dont Théophile Gautier fut une figure des plus typiques, dans tous les sens du terme, avec cheveux longs, barbe et moustache pointue. Né en 1811 à Tarbes et mort à Neuilly-sur-Seine en 1872, non seulement il sut lire, paraît-il, dès l’âge de cinq ans, non seulement il eut pour condisciple au collège Charlemagne le futur Gérard de Nerval, mais à dix-huit ans il fut adoubé comme disciple par Victor Hugo, qu’il prit instantanément pour maître. Et se distingua avec son gilet rouge lors de la bataille d’Hernani le 25 février 1830, cette bataille homérique qui vit s’affronter autour de la pièce de Victor Hugo les « classiques » et les « romantiques », les réacs et les jeunes turcs. Bataille dont on pourrait s’amuser à trouver quelques similarités avec le déchaînement de réactions autour de la soirée inaugurale des JO Paris 2024 le 26 juillet dernier…toutes proportions gardées bien sûr…
Si comme le dit platement Wikipédia, « ses premières poésies, publiées en 1831-1832, passent inaperçues », il va accumuler rapidement une œuvre gigantesque dans tous les domaines, en poète à tout faire du XIXe: romans (dont « Mademoiselle de Maupin » en 1835), innombrables contes et nouvelles (dont « Le petit chien de la marquise » ou « La morte amoureuse »), poésies innombrables, quelques deux mille articles en tout genre, critique d’art, critique musicale, récits de voyage, peuplant la grande presse de l’époque en plein essor (La Presse, Le Moniteur d’Émile de Girardin). Ces écrivains-là touchant à tout, contrairement à ceux de notre époque, béni soit-il pour avoir écrit le livret de « Giselle ou les Willis », dont il dira paraît-il: « Ce ballet, chose bizarre, a eu un succès immense; il s’est joué et se joue encore dans toutes les parties du monde. Pour un poète, ce succès chorégraphique ne laisse pas que d’être humiliant… ». Allons poète, tu sais bien pourquoi et pour qui tu écrivis ce ballet, pour cette Carlotta Grisi qui fut le grand amour contrarié de ta vie. Si ce n’est plus la Grisi qui promène aujourd’hui « Giselle » de par le monde, il demeure au programme de toutes les grandes scènes de ballet. Pas mal pour un poète…
Et béni aussi soit-il pour avoir composé, entre mille autres poèmes, « La Comédie de la mort » en 1838, sur laquelle fondit Berlioz, orchestrant « Les nuits d’été », cycle mystérieux et mythique de six mélodies, dans lequel aujourd’hui encore, depuis Régine Crespin, de célèbres mezzos, sopranos ou ténors aiment s’illustrer.
Quelque temps plus tard, le voilà qui s’engouffre dans l’égyptomania régnant sur le XIXe siècle depuis la campagne d’Égypte napoléonienne (1798-1801) et la découverte de la Pierre de Rosette déchiffrée par ce Champollion « enfant prodige maîtrisant toutes les langues anciennes et orientales ». Ce « Roman de la momie » paru au printemps 1857 en feuilleton dans Le Moniteur universel, puis en volume en 1858 chez Hachette, est une bien curieuse œuvre à lire aujourd’hui, car il combine roman archéologique, roman historique, roman d’amour et thriller.
Quelle érudition et quelle imagination lors du long prologue qui nous transporte dans un roman à la Agatha Christie : « J’ai un pressentiment que nous trouverons dans la vallée de Biban-el-Moulouk une tombe inviolée, disait à un jeune Anglais de haute mine un personnage beaucoup plus humble, en essuyant d’un gros mouchoir à carreaux bleus son front chauve où perlaient des gouttes de sueur, comme s’il eut été modelé en argile poreuse et rempli d’eau ainsi qu’une gargoulette de Thèbes. » Le jeune lord et l’archéologue allemand sont bientôt rejoints par le Grec Argyropoulos, « entrepreneur de fouilles, marchand et fabricant d’antiquités » qui leur fait miroiter le Graal, « une tombe inviolée ». Comme si c’était encore possible! Comme si la Vallée des Rois près de Thèbes, rebaptisée Louxor, chantée par Homère comme « la ville aux cent portes », n’avait pas déjà livré tous ses trésors !
Une descente hallucinante au cœur de la roche, qui aurait pu leur coûter plusieurs fois la vie, va exaucer leur vœu, et leur révéler, trois-mille-cinq-cent ans après sa vie et sa mort, la jeune Tahoser couchée en son sarcophage dans toute sa beauté inaltérée. Le savant mettra trois ans à déchiffrer son histoire racontée dans un parchemin de papyrus posé à ses côtés, celle de la plus belle fille d’Égypte aimée du Pharaon, tombée folle amoureuse d’un jeune Hébreu soumis en esclavage comme tout son peuple. Le moindre détail de la gigantesque architecture, la moindre fleur des somptueux jardins, le moindre grain de lapis-lazuli ornant Tahoser nous seront restitués dans toute leur minutie et splendeur.
Lise Bloch-Morhange
Merci beaucoup pour ce précieux conseil de lecture égyptomaniaque. On lira aussi avec plaisir, en cette fin d’été, le récit extraordinaire de la découverte du trésor de Toutankhamon par l’archéologue anglais Howard Carter en 1922. Authentique et passionnant témoignage d’un homme ayant vécu en personne l’événement, Carter restitue avec émotion les moments les plus exaltants de la mise au jour du sarcophage royal. On pourra aussi relire avec un rare bonheur l’Exode d’un certain Moses… ou la sortie d’Egypte (« Ce pays qui te ressemble ») 3000 ans plus tard de Tobie Nathan.
Merci Krys pour toute cette belle érudition! Théophile Gautier en serait tout émoustillé!
j’avais oublié ou méconnu cet écrivain.
qui renaît sous ta belle plume!!!
N’a y il pas aussi fait partie du mouvement du Parnasse et proche de beaudelaire qui lui a dédié » les fleurs du mal »?
Continue à nous enthousiasmer avec tes articles.
Effectivement, Baudelaire (mort à 46 ans en 1967) a dédié les Fleurs du Mal (1857) à Théophile Gautier:
« Au poète impeccable, le parfait magicien es Lettres francaises, à mon très cher et très vénéré maitre et ami Théophile Gautier avec les sentiments de la plus profonde humilité, je dédie ces fleurs maladives ».