En d’autres termes

Lorsqu’en 2019 le rover martien Opportunity expire, il adresse un dernier message à la Terre: « My battery is low and it’s getting dark ». Ce qui signifiait qu’après le choc d’une tempête de sable, ses réserves d’énergies électriques étaient à fond de cale et que le manque de lumière ne permettait pas aux panneaux solaires de refaire le plein. Il faut dire qu’il avait donné tout ce qu’il pouvait depuis son « atterrissage » en 2004, sachant que sa durée de vie ne devait pas excéder 3 mois. Ses derniers mots sont cependant apocryphes. Les commanditaires au sol ont romantisé les flux de datas qui donnaient en langage binaire, un pourcentage voisin de zéro pour la batterie et autres indicateurs d’une machine en fin de course. Mais la romantisation a un sens, d’une part pour les ingénieurs qui s’attachent à leur machine et probablement aussi pour le public qui finance. Le jargon informatique est en effet loin d’être glamour et au fond quelle importance. Si l’on humanise quelque peu un robot ayant été conçu par des humains, l’idée a son petit poids de cohérence.

C’est pourquoi nos machines parlent. Le GPS nous indique à voix haute la direction qu’il convient de prendre et l’ascenseur civilisé sait nous informer suavement, avec une voix aéroportuaire, que notre étage est atteint. Ce n’est encore qu’un début et il faut s’attendre à ce que notre lave-linge nous dise un jour, singeant en cela Opportunity, quelque chose comme « mon tambour grince et mon arrivée d’eau s’amenuise », ou encore notre lave-vaisselle geignant qu’il ne se sent pas dans son assiette. Alphonse de Lamartine avait quelque chose à dire à propos des objets muets, il se demandait s’ils avaient une âme, disons que désormais ils ont au moins le reflet collectif de la nôtre.

Ils parlent certes mais ce sont toujours des datas, des données en bon français, soit des suites compliquées de zéros et de un, système inchangé depuis les débuts de l’informatique. La tendance est à la traduction vocale, écrite le cas échéant, mais ce langage binaire, ainsi qu’il est convenu de le nommer, pourrait encore faire usage, par exemple lorsque l’on veut insulter quelqu’un à bon compte sans risquer une riposte ou une vengeance. En langage binaire (on trouve des traducteurs en ligne) il est possible de vouer son percepteur ou quelque autre funeste individu aux pires extravagances de la sexualité sans qu’il puisse tiquer, sauf à avoir des connaissances dans ce domaine bien sûr. Pour plus de précautions, si l’on conseille par écrit au dernier fâcheux en date d’aller se baigner dans la Seine car il sera dans son élément au milieu des matières fécales, il vaut mieux lui dire en data-latin ou en data-patagon afin de doubler la sécurité. Et encore une fois on ne peut qu’écrire dans ce domaine, à moins d’articuler jusqu’à la crampe une suite de zéros et de un et au risque de passer pour un fou.

Mais pour en revenir au rover Opportunity, si loin dans l’espace, il ne s’exprimait qu’en flux de données et s’il était capté, c’est parce que l’on comprenait son langage. Il est bien possible à ce titre que nos chers disparus nous envoient des messages incompréhensibles depuis les contrées où ils gravitent désormais. Leurs plaintes se perdent dans les zéphyrs intergalactiques. En outre, les brumes de Neptune épongent paraît-il au passage, un certain nombre de syllabes, rendant impossible aux Terriens toute conscience de leurs appels.

Ce serait bien différent s’ils voulaient bien utiliser le langage binaire que l’on doit à un certain Gottfried Leibniz (1646-1716) sans que ce Saxon comprenne ce qu’il était alors possible d’en tirer. De nos jours, la NASA avec ses grandes oreilles, serait à même de recevoir des messages de nos défunts et de les transmettre à qui de droit dans une langue intelligible.  Admettons qu’Apollinaire lui-même, après avoir lu cet article, essaie de nous envoyer ses salutations, cela donnerait quelque chose de parfaitement barbant dans un premier temps, mais un message émouvant en diable après être passé par la moulinette du traducteur.

Un manuel n’étant pas forcément disponible là où il se trouve, sur l’astéroïde qui porte son nom (1) en bonne logique, dans un lieu hautement malléable de l’espace-temps, nous nous permettons de lui faire la suggestion suivante (bristol ci-contre), salutations à adresser aux Soirées de Paris, aux bons soins de la NASA à Washington (300 Hidden Figures Way). Et dans pas trop longtemps quand même, car notre batterie s’épuise et il commence à faire sombre.

PHB

(1) A propos de l’astéroïde Apollinaire (2021)
Traducrion du bristol: « Apollinaire vous adresse ses salutations »
Photo d’ouverture: Le cratère Victoria vu par Opportunity, source/NASA
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Une réponse à En d’autres termes

  1. Gilles Bridier dit :

    La rentrée s’annonce sidérale aux Soirées de Paris. Nul doute que les nouveaux petits Opportunity et futurs Juice deviendront d’acharnés prescripteurs dans toute la galaxie pour vibrer, dans une harmonie satellitaire, à la découverte d’une poésie numérique qu’Apollinaire lui-même ne désavouerait pas.

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