Colette, l’amoureuse du palais

Avant de choisir un fromage, Colette aimait à en « tâter la croûte », et  « mesurer l’élasticité de la pâte », de façon à deviner l’intérieur et qu’en fin de compte, choisir un maroilles ou un reblochon, c’était quasiment une affaire de « radiesthésie ». Cela fera soixante-dix ans en août que cette amoureuse multi-plateaux (hommes, femmes, nourriture, parfums…) aura disparu de la société à quatre-vingt-un ans, soit un âge convenable pour mourir avant la décrépitude. Il se trouve que son impotence, assortie à sa gourmandise, faisait qu’elle pesait assez exactement son âge. En tout cas, le 3 août 1954 au matin, depuis sa demeure du Palais Royal, elle avait manifesté le vœu d’un bouillon de légumes, que le grand cuisinier Raymond Oliver, en voisin, lui apporta. Ce sera le dernier et c’est dans la soirée, sur le coup de vingt heures, que ce grand écrivain à la verve extraordinairement vivante, à la langue redoutable à tout point de vue, allait rendre son âme à Dieu. Il y a deux livres possibles à lire à l’occasion de cet anniversaire, d’une part un ouvrage posthume « Paysages et portraits » (Flammarion, 1958) et « Amoureuse Colette » (Geneviève Dormann,1984 pour les éditions Herscher et 1985 chez Albin Michel).

Il se trouve que les deux livres communiquent dans la mesure où, la gourmande Mme Dormann est allée puiser quelques références dans le premier, surtout pour les questions de cuisine. Celle qui avait déjà publié un livre sur Apollinaire et son goût du bien manger, avait eu au départ pour ambition de s’intéresser à la vie amoureuse de Colette. Un objectif qui commet de nombreux écarts pour le plus grand plaisir du lecteur, tant il y est question de mets, de repas, de bons produits du terroir. Au point qu’il est difficile en cours de lecture de ne pas céder par exemple à la tentation d’un camembert dont Colette fait un hommage ému. La littérature peut donner plein d’idées en cours de lecture, entre autres choses, celui de mouiller la bouche. Geneviève Dormann nous fait saliver et allume nos sens plus qu’autre chose, bien que la vie amoureuse de Colette soit aussi riche en rebondissements, qu’il s’agisse des hommes mûrs ou très jeunes ou encore des femmes que, selon Geneviève Dormann, Colette préférait « belles et au lit », faites comme un fromage à point.

Mais pardon, dans le livre faiblement titré par ailleurs « Paysages et portraits », le chapitre gastronomie nous enjoint de nous mettre à table toutes affaires cessantes. Colette, généreuse en général mais aussi en conseils, disait notamment que si elle avait un fils à marier (elle n’a eu qu’une fille, Bel-Gazou, 1913-1981), elle lui dirait de se « méfier d’une jeune fille qui n’aime ni le vin, ni la truffe, ni le fromage, ni la musique ». Et à sa fille, elle lui recommandait de toujours penser aux desserts lors d’un repas, car « les convives seront alors satisfaits ». Mais si de surcroît, elle n’oubliait pas les fromages, ceux-là ne manqueraient pas alors de lui manifester de la reconnaissance.

Une préface non signée explique que lorsqu’elle était sollicitée par un éditeur, Colette tapait dans le tas de ses chroniques ou de ses interventions jusqu’à ce que cela fasse le compte. Les textes de « Paysages et portraits » vont de l’année 1909 à 1953.  Il fallait bien que l’argent rentre car elle était dépensière ce qui fait qu’elle faisait feu de tout bois y compris en faisant de la pub. Elle devait d’ailleurs batailler afin de faire respecter l’intégrité de ses textes et n’hésitait pas « à cogner » moralement sur ceux qui lui faisaient des misères. Mais parfois elle cédait, comme à Hélène Lazareff, laquelle dirigeait le journal « Elle » et qui ne voulait pas publier une phrase où Colette évoquait un homme dont la « semence était claire ».

Dans ce livre posthume, elle explique par ailleurs son intransigeance dans l’écriture, notamment à l’adresse des mots qui se comportent comme des « délinquants », sa chasse aux adjectifs trop nombreux ou encore sa traque des vers involontaires. Oui elle aimait la langue française et elle aurait eu son mot à dire aujourd’hui à ceux qui la blasphèment pour des motifs moraux. Lors de l’escapade qu’elle fit un jour à New York elle fit deux remarques que retint Geneviève Dormann. Ayant repéré un chat qui miaulait elle eut ce commentaire drolatique: « Enfin quelqu’un qui parle français. » Et partant acheter des stylos, elle rétorqua à son mari lui disant qu’ils étaient probablement les mêmes à Paris, qu’à New York ils étaient assurément « plus frais ». Elle avait réponse à tout, sauf la bouche pleine, ayant sur ce point un sens aigu des priorités.

PHB

Source photo: ©Gallica
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2 réponses à Colette, l’amoureuse du palais

  1. Jacques Ibanès dit :

    Et pour faire bon poids, je conseille de se régaler aussi avec le roboratif « Colette gourmande » (Albin Michel).

  2. Et ne pas oublier qu’elle aimait déguster les meilleurs vins avec le fromage et autres mets roboratifs… Tout ceci est paru dans un livre que j’ai eu le plaisir de publier en 2013 (épuisé) et qui vient d’être réédité chez Jacques Flament: « Colette, la passion du vin » que Bernard Pivot, dans une fort belle critique, avait qualifié de « gouleyant et fruité » dans le JDD.

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