Les bonnes nouvelles du genre ferroviaire ne sont pas si fréquentes. Au point que la mairie de Romainville (Seine-Saint-Denis) a cru bon d’organiser sur son parvis, une modeste exposition rappelant qu’il y a 124 ans, le conseil municipal émettait un vœu consistant à étendre la ligne de métro qui partait de la Porte Dauphine jusqu’aux terres orientales de la banlieue parisienne. L’expo qui se termine le 4 juillet montre en effet, avec une belle calligraphie, le souhait du maire de l’époque, de faire jonction avec le Paris des beaux quartiers. Finalement, et donc 124 ans plus tard, c’est à la ligne 11 qui part de la place du Châtelet, de faire le job jusqu’à Rosny, desservant au passage la mairie de Romainville et plus loin la place Carnot, avec son célèbre cinéma, lequel fut aussi dancing avant d’être détruit. Reconstruit, il abrita « La Dernière Séance », émission de télé présentée par Eddy Mitchell (1942-) jusqu’en 1988. Les Romainvillois ont attendu tellement longtemps, qu’ils ont pu considérer comme rapide, l’avancement du tunnelier avec des pointes à douze mètres par jour. L’expo est très moderne avec ses « élégantes » explications en langage inclusif. De surcroît elle est située entre la mairie et l’église sur une place baptisée « laïcité », on croirait un film à la « Don Camillo ».
Il n’empêche que dans un sens comme dans un autre, il y a un petit émoi perceptible chez les habitués de la ligne qui voient leur espace vital s’agrandir de 6 stations dont une à découvert. Les autres sont (très) souterraines ce qui a occasionné la construction d’escaliers et d’ascenseurs permettant l’accès handicapé jusqu’à la jonction avec la ligne ancienne aux Lilas. L’époque n’est pas venue à bout de la station Serge Gainsbourg, premier des nouveaux arrêts. On avait en effet lu ça et là dans la presse des associations manifestant leur courroux à l’adresse d’un homme qui ne serait pas suffisamment bien conduit à l’égard des femmes. Apparemment quelqu’un n’a pas cédé et la station existe bel et bien dans un style à la fois moderne et quelque peu décourageant pour l’œil, mais l’effet esthétique tarde peut-être à venir. Il faut s’habituer tout comme la plupart des Parisiens ont fini par agréer le Centre Pompidou, toujours sur la ligne onze d’ailleurs, prévoir pour ce faire de descendre à Rambuteau.
Du Paris historique jusqu’au centre commercial Rosny 2 et ses galeries si longues que l’on y randonne plutôt que l’on y marche, les poissons rouges que nous sommes un peu tous aux yeux de nos administrateurs et accessoirement du patron de la RATP que l’on croise parfois dans ses propres wagons, les poissons que nous sommes disions-nous, ont vu les limites de leur aquarium s’agrandir d’un coup. Nous faisant comprendre au passage que nous sommes demandeurs d’espace. Surtout en Île-de-France qui est aussi un bassin, sachant que les franciliens depuis au moins l’époque chelléenne se gaussent facilement de ce genre de contradiction. Et pour en revenir aux Romainvillois, les voici enfin récompensés de leur patience. Pour rire (jaune) en 1980, ils avaient même organisé une fausse inauguration, visible dans l’exposition qui se termine bientôt. Ils vont désormais pouvoir aller place du Châtelet boire une bière au Zimmer la brasserie du Châtelet qui comptait Apollinaire dans sa clientèle, surtout en sous-sol réputé à l’époque comme tripot.
Chaque nouvel arrêt comptera bientôt nombre de petites histoires officielles ou personnelles, c’est la vie des lieux que de prendre en dépôt les souvenirs des humains. Si le métro-boulot-dodo est le mantra habituel, il y aura toujours de petits miracles, des histoires d’amour ou simplement le passage d’un ange car il ne faut pas croire, ils prennent aussi le métro, ce qui expliquerait de temps en temps certains phénomènes lumineux irradiant la vie des passagers. Cette ligne 11 comptait déjà beaucoup d’anecdotes et son extension déjà bondée indique que cette richesse invisible n’a pas fini de prendre du volume.
Vous qui passez par là, souvenez-vous qu’en 1967 est sorti le film « Le Samouraï » , un film noir franco-italien réalisé par Jean-Pierre Melville. Et que traqué par la police le samouraï, interprété par Alain Delon, tentait de tromper ses poursuivants dans les couloirs du métro. On le voit entrer à Télégraphe, puis la filature continue jusqu’aux stations Place des Fêtes et Jourdain. Tout en élégance extrême, Delon cherchait sa voie de secours.
En attendant on continuera de rêver à ces lignes qui déraillent littéralement, sortent de leur parcours habituel comme l’imagina un jour Boris Vian et qui nous permettraient d’aller passer l’automne à Pékin ou en Exopotamie.
PHB