Vive les anti-espions

Fondateur des Éditions de l’Olivier il y a une trentaine d’années, Olivier Cohen s’est donné pour mission récente de nous faire redécouvrir le maître anglais du roman d’espionnage Eric Ambler. Attention, il s’agit là d’un auteur mythique, « Notre maître à tous », dixit John le Carré. Le plus mythique de ses livres étant « Le masque de Dimitrios », premier titre ressorti en février dernier, suivi de « Je ne suis pas un héros ». Dans une préface vibrante au premier, l’éditeur confesse sa passion remontant à l’âge de treize ans: « En 1962, je découvre Ray Charles, Françoise Hardy et Jean Bruce, dont je me procure les œuvres (OSS préfère les rousses, etc.) en les échangeant contre mes vieux Bob Morane. » Au détour de « From Russia with love » (« Bons baisers de Russie »), il découvre cette phrase: « Bond détacha sa ceinture, alluma une cigarette et sortit de son élégant attaché-case un exemplaire du Masque de Dimitrios. » Quinze ans plus tard, Olivier Cohen tombe par hasard sur le livre qu’il « dévore en une nuit ». Un an plus tard, il rencontrera Ambler, plus gentleman Anglais que nature, buvant du champagne dans un bar de la Rive Gauche. Et quarante-six ans plus tard, par on ne sait quel mystère, il entreprend de rééditer dans des éditions révisées le gentleman anglais aux livres devenus introuvables.

Eric Ambler est né à Londres en 1909, et deviendra ingénieur. « Entre 1936 et 1940, il publie cinq romans d’espionnage qui révolutionnent le genre », assure Olivier Cohen. En effet il est de ces auteurs de romans d’espionnage ou de romans noirs qui sont tout simplement de grands écrivains: Dashiell Hammett ou Raymond Chandler aux États-Unis dans les années 1930 à 1950, et John le Carré en Europe à partir de 1960. Peu importe le genre, ils ont une vision et un style propres, et ne sont pas nombreux.

Il suffit de lire les deux premiers titres réédités par les éditions de l’Olivier pour s’en persuader, d’autant plus que « Je ne suis pas un héros » est paru en 1938 et « Le masque de Dimitrios » en 1939. Des dates qui imprègnent profondément les ouvrages, tout comme le Carré situera plus tard ses intrigues dans les grandes zones d’actualité brûlante du monde. Et puis ces deux livres publiés presque au même moment, à la veille de la deuxième guerre mondiale, nous permettent de cerner l’anti-héros typiquement amblérien et typiquement anglais. Un homme étrangement naïf et passif, brusquement sorti de sa zone de confort et pour cause, assailli de mystères et de dangers auxquels il ne comprend d’abord rien du tout. Et qui vont tester ses limites.

Dans le premier titre, Eric Ambler met en scène un jeune ingénieur anglais (comme lui autrefois) nommé Nicolas Marlow (clin d’œil au Philip Marlowe de Raymond Chandler ?), trente-cinq ans, employé par une société qui ferme son usine de Barnton, dans le Nord-Ouest. Il est congédié le lendemain du jour où il a fait sa demande en mariage à Claire, « une jeune femme très belle et très intelligente ». Même si la situation est « incertaine à l’heure actuelle », il ne s’en fait pas, mais doit rapidement déchanter. Les semaines passent, il finit par répondre à l’annonce d’une firme des Midlands offrant un poste à un « ingénieur de production très expérimenté » maîtrisant parfaitement l’italien. Ainsi passera-t-il six semaines en Italie en 1937 à la tête du bureau milanais de la société de machines-outils anglaise Spartacus. On pourrait penser que dans le contexte de l’axe Rome-Berlin (1936), notre jeune Marlow se poserait quelques questions sur le fait de représenter en Italie une société fabricant « des machines automatiques à haut rendement pour la fabrication d’obus ». Mais non. Pas du tout. Il est un ingénieur compétent et fera son boulot en toute ingénuité. Mission impossible naturellement, car d’étranges personnages ne tardent pas à le contacter, le harceler, le menacer. Même s’il « n’est pas un héros », il va se retrouver espion malgré lui, tenu de prendre parti et de risquer sa vie. Et nous, qu’aurions-nous fait ?

Le héros, ou anti-héros, du « Masque de Dimitrios » n’est pas sans présenter des similitudes avec notre pauvre ingénieur. Il s’agit cette fois d’un écrivain anglais de romans policiers pépères (tiens, tiens…) renâclant à l’ouvrage. En attendant l’inspiration, pour se changer les idées, il voyage et rencontre à Istanbul, lors d’un cocktail, le chef des services secrets turcs qui lui fait des confidences. Un cadavre vient d’être repêché dans le Bosphore, celui d’un certain Dimitrios Makropoulos, célèbre criminel. Beaucoup de mystère entoure le cadavre, et l’écrivain Charles Latimer se prend au jeu, se lance sur ses traces, sans se douter dans quoi il s’embarque, comme notre naïf ingénieur. Le mal à l’état pur existerait-il? Au bout de sa terrifiante enquête, Latimer découvrira enfin « le masque de Dimitrios ».

Lise Bloch-Morhange

« Je ne suis pas un héros », Eric Ambler, Éditions de l’Olivier, 22,50 euros
« Le masque de Dimitrios », Eric Ambler, Éditions de l’Olivier, 22 euros

 

 

N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Livres. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Vive les anti-espions

  1. KRYS dit :

    Merci pour cette proposition intéressante de lecture de vacances.

  2. isa Mercure dit :

    Très intéressant, cet article m’incite vivement à découvrir Éric Ambler.

Les commentaires sont fermés.