Clavecins pour gigues et sarabandes

Wanda Landowska, avait décidé d’aller au-delà de la partition, de creuser un peu la profondeur, afin de mieux comprendre sa passion pour Bach. Elle s’y était mise en arrivant à Paris en 1900 alors qu’elle avait 21 ans (1879-1959) et déjà une réputation de pianiste qui passait les frontières. Jusqu’à finir par réaliser après nombres de visites de musées, de lectures de documents, que les œuvres de Bach pour clavier se devaient d’être « jouées sur l’instrument pour lequel elles avaient été composées ». Elle se mit donc à la recherche d’un clavecin sans en trouver un de satisfaisant. Elle se souvenait avoir joué une suite au clavecin avec le pianiste et organiste Gabriel Fauré (1845-1924) assise à côté d’elle mais la frustration persistait.

Elle en avait aussi discuté avec Albert Schweitzer (1875-1965), médecin, pasteur, musicien, philosophe, et aussi être partie avec lui en 1910 à un festival de musique à Munich en Allemagne. Et, de fil en aiguille, d’échanges en échanges, Wanda Landowska continuait de faire un rêve, notamment celui de ressusciter un vieux clavecin au rancart, de lui faire « résonner ses claviers accouplés » et « chanter d’amoureuses cantilènes parées de larges résonances ». Cette envie qui vient clairement à l’esprit lorsque l’on visite le musée de la Musique à Paris, face à tous ces instruments désespérément muets.

Les mêmes sans doute que Wanda Landowska avait croisés dans les musées, avec ce même côté pathétique de choses adressant de silencieuses prières pour une prompte adoption. Tel celui, splendide, signé d’un certain Loannes Ruckers achevé en 1612. Mais quel chemin n’a-t-il pas fait ce bel ensemble à deux claviers, quand ont donc poussé les arbres qui en font la structure, quand a-t-il sorti ses dernières notes, mais pourquoi faut-il que sa carcasse si raffinée soit cruellement privée d’interprète? Sa décoration est française mais des effets de transparence prouvent que des motifs flamands étaient là avant. Et il a beau être au musée, difficile de chasser l’idée qu’il est surtout au rebut et que nul écho ne traverse plus ses contre-éclisses, ne chamboule plus ses sautereaux. Ces derniers pinçaient les cordes, au contraire du marteau frappant celles des pianos. On dit que ces derniers étaient plus fiables, plus maîtrisables et c’est ainsi que l’on a perdu le son cristallin, les étoiles sonores qui caractérisent si bien le clavecin, que ce soit pour une gigue, une sarabande ou fugue.

Sûre de son fait était Wanda Landowska. Laquelle se tourna vers la célèbre maison Pleyel afin de pouvoir jouer sur quelque chose « répondant à ses ambitions » sur deux claviers. Qu’elle inaugura en public en 1912 au festival de Breslau, en Pologne son pays d’origine. Elle fit de lointaines tournées avant de fonder une école de musique ancienne, en 1925, à Saint-Leu-la-Forêt (Val-d’Oise). Elle y fit des enregistrements d’une qualité exceptionnelle si l’on en juge par exemple par ceux de 1935, de nouveaux gravés en 1958. Son « concerto italien », sa « partita en si bémol majeur » ou encore sa « toccata en ré majeur », sont de pures merveilles nous donnant accès à un monde à la fois allègre, sensuel et céleste. Cependant elle n’enregistra pas que du Bach et l’on apprend cette anecdote amusante depuis le site musicologie.org (1), qui eut lieu ce jour de 1940 où un micro capta non seulement son interprétation d’une œuvre de Scarlatti mais aussi le bruit des batteries anti-aériennes. Un moment d’histoire.

Dans cet attachant musée de la musique où l’on découvre avec un étonnement ravi des pièces très étonnantes comme des théorbes et autres angéliques à 16 cordes, les clavecins sont assez nombreux, solidaires dans leur splendide réclusion. La signature de Pierre Donzelague (1668-1747) facteur connu pour ses clavecins, figure au-dessus des deux claviers d’un spécimen plutôt massif. Il l’avait achevé en 1716 dans son atelier lyonnais. Dressé dans tout son raffinement d’époque, il dévoile ses cordes vocales pour qui hausse suffisamment les pieds.

Grande est la tentation d’aller appuyer sur une touche comme le font les enfants et même beaucoup d’adultes en passant devant un piano. Comme l’a fait si admirablement Wanda Landowska en son temps, ayant compris comment il n’y avait qu’une possibilité d’être fidèle à l’œuvre de Bach. On finirait à cause d’elle par prendre le piano pour une aberration anti-bach même si le cousinage des cordes en l’occurrence est certes bien plus acceptable que ne le ferait une cornemuse. Wanda Landowska avait en son temps rendu quelques lettres de noblesse au clavecin, mais il faut bien constater que l’éclaircie a été de courte durée. Alors que l’on en pince toujours pour eux.

PHB

(1) Sur le site de musicologie.org
Musée/Cité de la Musique, 221 avenue Jean-Jaurès Paris 19
Photos: ©PHB
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