Selfie moucheté

Drôle d’endroit pour une rencontre olympique. La maison parisienne de Victor Hugo sise place des Vosges, consacre toute une pièce à quelque chose qui n’a rien à voir ni de près ni de loin avec l’hôte. Sur quelques mètres carrés, ont été assemblées des sculptures présentant des sportifs, hommes, femmes, handicapés et non handicapés. Signées Stéphane Simon, elles sont plutôt réussies, celles ayant un membre manquant comblent le vide avec élégance par un équivalent doré. Bien dans notre époque égocentrée, elles adoptent la position du selfie. Et invitent nous dit-on, les visiteurs à faire de même, de façon à se laisser transfuser par effet de proximité, les valeurs de l’olympisme: « liberté, égalité, inspiration, courage, amitié, excellence, respect, détermination, fraternité, victoire ». Alors même que le moindre podium à lui seul, contredit toute idée d’égalité, exaltant au contraire la domination des uns sur les autres. Cette réunion statuaire se prend un peu, en termes de valeurs, les pieds dans le tapis, notamment sur la question de la paix. Dans la mesure où nombre de pays participants sont des belligérants et se haïssent cordialement. La question reste de savoir ce que ces œuvres font exactement là, dans la maison de l’auteur des « Contemplations ».

La réponse est dans le fleuret moucheté et dans le titre de l’exposition en cours, « Victor Hugo s’escrime », pour ne pas dire s’exprime. L’impression générale est que le musée apporte son tribut comme il peut à un événement prochain qui n’emballe toujours pas les foules en dépit du bourrage de crâne de rigueur et encore moins les Parisiens dont les déplacements se feront sous haute surveillance, à en rendre jaloux la Chine (1). Soit pour se faire bien voir, l’établissement qui dépend de la Mairie s’est auto-commandé de trouver quelque chose à dire sur le terrain sportif avec les cinq anneaux olympiques en toile de fond, soit l’autorité de tutelle leur a mis une amicale pression, soit un peu des deux.

Ce qui fait que tout ici a l’air lourdement tiré par les cheveux. Une photo présente certes Victor Hugo à Guernesey s’entraînant au fleuret où il vécut quinze ans en exil jusqu’en 1870 (en raison du Coup d’État de Louis- Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851). On peut aussi ajouter à la scénographie son épée d’académicien et deux masques de protection appartenant à la famille Hugo mais de toute évidence, il n’y avait pas suffisamment de matière directe. C’est en ce sens qu’il a fallut cogiter et passer dans le domaine indirect, afin de pouvoir illustrer les combats du grand homme au sens figuré. Et là il est vrai qu’il y avait de la substance vu ses états de service au bénéfice de la cause pacifiste, des libertés en général ou encore de la pauvreté. Son emphase rhétorique ou poétique a quelquefois été moquée mais c’est une pure question de point de vue. Du haut d’un escabeau en effet, les jauges entre lui et son public, se calent moralement au même niveau.

Si Victor Hugo savait se servir d’une arme d’estoc, c’est qu’il appartenait encore à une histoire où les contentieux entre humains pouvaient se régler sur le pré après échanges de témoins et de bristols. Richelieu (1585-1642) avait interdit les duels mais la pratique dura jusqu’en 1967 en France, immortalisé par un combat entre deux hommes politiques, Gaston Deferre et René Ribière. On se bat encore naturellement, les colonnes de faits divers sont pleines de combats entre voisins, cyclistes ou automobilistes, mais la noblesse consistant à respecter certaines règles a disparu. La confrontation se limite heureusement aux invectives sans forcément porter des coups. L’usage de l’épée néanmoins, avait ceci d’avantageux qu’il était nettement moins bruyant. C’est la grosse différence entre le rhéteur et le bretteur.

Dans ses « Mémoires d’outre-tombe », Chateaubriand disait que le duel était « affreux », car il pouvait « détruire une vie pleine d’espérance » et susceptible de « priver la société d’hommes rares ». Passant sous silence qu’un bon coup de lame pouvait aussi débarrasser le plancher d’un cuistre. Quant au philosophe Alain (1868-1951), il évoquait le « regard noir » d’un duelliste à même de « percer avant l’épée ». On a coutume de dire en effet que dans certains combats tout peut se gagner dans l’attitude face à l’adversaire. Le match est alors plié avant qu’il ne débute réellement. Il y a des gens ainsi qui ont cette aptitude à décourager l’agression. L’épée dans le fourreau ce serait juste pour au cas où. Et c’est ce genre de réflexion que l’on a au sortir de cette exposition, dont l’un des atouts est au moins de nous faire réfléchir aux tenants et aboutissants de toute forme de confrontation. C’est tout l’avantage du selfie mis en scène par Stéphane Simon, tuant en quelque sorte toute opposition à l’autre.

PHB

(1) Parmi les cadeaux offerts au président chinois lors de sa récente visite en France, figuraient des livres de Victor Hugo
« Victor Hugo s’escrime », jusqu’au 15 septembre 202, 6 Place des Vosges,
75004 Paris
Photos: ©PHB
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2 réponses à Selfie moucheté

  1. Jacques Ibanès dit :

    Oui, c’est vraiment risible d’associer Hugo aux JO !
    Et concernant les duels, souvenons-nous qu’Apollinaire faillit se battre et que Proust se battit bel et bien. Là aussi, il y a matière à rire.

  2. Jean STEICHEN dit :

    Pourquoi risible ? Ne doit-on pas encourager nos athlètes à coups de Hue-JO !

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